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Critique de Annezzo


Cet ancien directeur scientifique du Mémorial de Caen nous raconte ici les aventures extraordinaires d'un chineur en grosses machines, durant les années 80 et 90. Pour garnir le Mémorial d'objets représentatifs des tourments du XXème siècle, il part titiller les bureaucraties des pontes du monde entier : l'URSS, les USA et la Chine, l'Allemagne, un peu l'Italie, Cuba, ou le Vietnam. Avec quelques relations, pas beaucoup d'argent (c'est uniquement la ville de Caen qui finance le Mémorial), un instinct de David Crocket, il ose, s'adapte, insiste, farfouille, et finit par trouver ses trésors - pas toujours, mais quand même, beau tableau de chasse !
Oui parce que faire trimbaler un orgue de Staline, par hélicoptère, depuis un hangar sovièt jusqu'à la Normandie, par exemple, c'est un peu plus complexe que chercher dans un étal pour y trouver une casquette militaire. L'orgue de Staline, la Katioucha, vous savez, ces canons balançant leurs bombes en série, ces monstres de métal haut comme un immeuble de 5 étages, qui ont aidé le soldat soviétique à avancer jusqu'à Berlin en 44-45. Pour représenter la guerre du côté russe, oui, ça a de la gueule.
Encore plus taquin côté américain, là, il va carrément à la pêche… à la bombe atomique ! Il veut une bombe atomique dans son Mémorial. Démilitarisée (j'ai appris le mot dans ce livre), bien sûr, tout comme l'orgue de Staline, inoffensive, mais quand même, ça fait du chouette souvenir.
On apprend des choses. On réapprend des épisodes oubliés. le massacre de Nankin par exemple. L'armée d'occupation japonaise a envahi la Chine d'en face, ça se passe en 1937 soit deux ans avant le début de "notre" 2ème guerre mondiale à nous. Peu connu chez nous, cet évènement tragique, on a un peu parlé de cette occupation japonaise dans le Dernier Empereur de Bertolucci, sans plus, alors que pour les Chinois c'est un évènement énorme. Qui serait le vrai début de la 2ème guerre mondiale, disent certains, moins occidocentrés que nous. L'évocation que fait Claude Quétel de cet épisode dramatique fait curieusement résonance avec l'actualité de 2022 :
"Le 13 décembre 1937, la capitale de la Chine nationaliste devint la proie des envahisseurs japonais qui, furieux contre ce peuple chinois qu'ils méprisaient mais qui se défendait courageusement, mirent la ville à sac, massacrant et violant. Combien de victimes au total ? Cent mille, peut-être plus".
Vous nous le traduisez en 24 février 2022 et on peut reprendre chaque mot. Effrayant de voir comme l'histoire se répète, dans les délires des tyrans.
Ce n'est pas le seul endroit où j'ai tilté. le livre est écrit en 2011, à l'époque où on croyait en toute simplicité à "la fin de l'historie". Toutes les horreurs de la guerre appartenaient au passé, l'Occident n'avait été secoué - quand même - que par le 11 septembre 2001, et la lamentable guerre d'Irak qui s'en suivit, mais notre ami le Français, à part des grèves pour changer des grèves, vivait son confort sagement. Ca m'a fait très drôle de me dire que ce bouquin parlait d'un passé révolu datant de seulement onze ans.
Mais avec des sonorités qui sont devenues soudain familières. La bureaucratie soviétique. le divan de Béria qui ne parle que russe, la cérémonie de la vodka, ça c'est marrant, mais l'âpre vie des russes, peu avant le reversement de 1991, puis peu après, nous apporte des éclaircissements sur cette guerre de là tout de suite maintenant. Les armes, les RC (roues-canons), les chenilles, les tanks, les uniformes, et les mentalités.
Cocasse aussi la bureaucratie américaine qui n'est pas en reste. Si on peut jouer d'un humour désabusé dans un univers bringuebalant autant qu'étouffant, côté sovièt, on ne rigole pas du tout côté US. Il faut dire que le petit souvenir que veut emporter Claude Quétel n'est pas un gadget comme un autre, c'est vrai. D'ailleurs ce sont toutes les bureaucraties du monde qui en prennent pour leur grade, chacune à leur manière.
Des aventures étonnantes, donc, de l'humour, une touche de surréalisme, un rien de surprenante nostalgie en ce qui me concerne, et une bonne dose d'humanité car tout ça nous parle de la folie des hommes, et des victimes par millions qu'elle a occasionnées.
Et au passage, ça me donne grave envie de visiter enfin le Mémorial de Caen, depuis le temps...
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