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Critique de ma_dalton


L'amour la mer est un hymne magnifique à la beauté du monde, à la vie ainsi qu'à l'impermanence de toutes choses.
Nous nous retrouvons au milieu du 17e siècle. L'Europe est à feu et à sang :une guerre de religion a déchiré catholiques et protestants pendant près de 30 ans et a porté la violence à un niveau d'inhumanité désespérant. Pendant de nombreuses années, les grands royaumes d'Europe resteront secoués de violences, de famines et d'épidémies.
Nous suivons quatre musiciens, trois hommes et une femme, virtuoses à la sensibilité exquise qui parcourent à cheval les routes d'Europe, qui se croisent, se quittent, se recroisent dans la mystérieuse complicité de leur art, allant de ville en ville, de salon en salon de Paris à Anvers ou Ostende, de Stuttgart à Vienne pour y interpréter et diffuser la musique baroque pour le plaisir des grands de ce monde, leurs mécènes parfois ô combien capricieux.
Ils ont tous une profonde maîtrise de leur instrument qu'ils jouent du clavecin, de la lyre, de la viole ou encore du théorbe (autre nom du luth ), certains sont compositeurs mais deux d'entre eux, Hatten et Forberger refusent de publier ou même d'interpréter en public leurs propres oeuvres. Leurs compositions livreraient trop de leurs émotions et, pour se protéger, ils préfèrent se mettre au service d'autres artistes.
Le roman de Quignard fait résonner en nous des questions contemporaines concernant la création, la place de l'art et de l'artiste dans la société spécialement en période tourmentée. « Comment créer en période de guerre religieuse? Comment se concentrer dans le silence ou la clôture de son âme lorsque tous les jours ouvrés sont plongés dans les cris et l'anomie. Quand tous les instants du temps prétendument régulés sont contraints par la peur? Quand toutes les nuits s'enfoncent sans remède dans l'appréhension, tous les rêves dans l'épouvante? Comment envisager l'art dans le chaos » (p 127)
La vie est effectivement bien dangereuse en ce 17e siècle, la violence et la mort rodent partout. Elles sont bien présentes dans la vie nos musiciens, la famille de Froberger a été décimée par une épidémie, Hatten, Froberger et Hanovre ont été attaqués, pillés ou blessés et tous ont été témoins de massacres ou de scènes traumatisantes. Leur entourage peut, lui aussi participer à cette violence : le frère de Froberger a tué pour récupérer son violon, la Princesse Sibylla a tué une mère de famille qui utilisait l'eau de son cheval.
Et pourtant si nos quatre musiciens parviennent à jouer et même à créer c'est justement parce que leur art émerge de la noirceur, la musique leur permet de transcender l'horreur du quotidien, d'exprimer leur douleur. Elle leur permet de survivre. Forberger dira « L'art et particulièrement la musique ravivent tout ce qui a été vécu. Comme la mémoire offre de maintenir le souvenir, la musique permet de faire retentir la douleur. Il arrive que l'art creuse une distance, et écarte de sa cause, et en cela console. Je pense même qu'il peut enchanter ce qui n'était jusque-là que détresse et panique. Peut-être même est-il capable d'éconduire la sidération, de la transporter ailleurs, de l'irriguer différemment afin de la plonger peu à peu dans un paysage moins insupportable. »

N'est-ce pas cela que nous propose ou pourrait nous proposer la musique aujourd'hui? l'art en général? C'est du moins ce qu'affirment plusieurs.

L'amour pourrait lui aussi être un outil pour nous aider à traverser le chaos environnant mais "l'amour est rare et mystérieux". Irrationnel et inconscient y agitent leurs fantômes et impriment une direction qui peut nous laisser pantois. Il faut , nous dit Quignard lui ouvrir la porte avec courage. « le bonheur est cet inconnu qui arrive comme une bourrasque sur la rive. Il désordonne le monde. Il faut avoir du courage quand le bonheur est là. » (p 26). Il faut s'y abandonner au risque d'être soi-même abandonné.
Les personnages principaux du livre, la splendide Thullyn et l'ombrageux Hatten vivront leur passion sous le signe de l'absolu et de l'intensité mais aussi sous le signe de la séparation et la douleur profonde. Même séparés, ils ne cesseront de s'aimer, d'être habités l'un par l'autre et être traversés par une même profonde nostalgie.

L'amour comme la vie est flux et reflux. Notre vie individuelle n'est qu' une vague dans la mer infinie, elle roule vers le rivage et quand elle se retire c'est notre fin à nous. Mais bien vite une autre vague, une autre vie se lève et perpétue le mouvement .

Plonger dans L'amour la mer implique de trouver temps et espace pour s'abandonner au rythme et au phrasé poétique et élégant de l'auteur et ainsi découvrir que le plaisir que la lecture éveille se laisse savourer lentement, sensuellement, délicieusement.
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