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Critique de Dorian_Brumerive


« La Tour d'Amour » est un roman d'une puissante morbidité, qui fit scandale à sa parution. Sans son prestigieux époux, Rachilde aurait sans doute été écartée définitivement du monde des lettres. Il est vrai que plus d'un siècle plus tard, le roman, malgré ses quelques archaïsmes, conserve tout son caractère vénéneux et malsain. Il dérange, il écoeure, et en même temps il flamboie d'une beauté noire absolument sublime, fruit de la rencontre exceptionnelle entre un symbolisme ténébreux et un naturalisme cruel. Tout au plus lui reprochera-t-on sa brièveté.
Si le caractère oppressant et étouffant de ce huis-clos à ciel ouvert ne souffre pas de cette économie du verbe, l'usure quotidienne du temps qui passe sur ce phare aux rituels immuables se fait moins facilement sentir. Il est vrai que le cauchemar vécu par Jean Maleux est déjà suffisamment éprouvant, et le serait peut-être trop si Rachilde avait doublé son volume. Mais on regrettera que l'immersion du lecteur ne soit jamais totale. Il ne manque à « La Tour d'Amour » que le réalisme étiré d'un « Robinson Crusoë ».
Rachilde a choisi aussi de nous faire vivre ce récit par les yeux de Jean Maleux, ouvrier, homme simple qui bascule progressivement dans la folie. L'exercice de style est remarquable, car Rachilde retranscrit avec une grande justesse les tourments d'un jeune homme qui narre une grande partie de ses émotions sans les comprendre tout à fait ou les analyser vraiment. Inversement, ce tour de force rhétorique gêne parfois la compréhension du récit ou la finesse des descriptions. Rachilde tombe d'ailleurs parfois dans des moments de lyrisme d'une grande qualité littéraire qui la font sortir brusquement de son personnage, insufflant à ce pauvre Jean Maleux les traces d'une schizophrénie versatile qu'il n'est sans doute pas censé avoir. Enfin, laissant remonter une sensibilité plus féminine, Rachilde donne peut-être de Jean Maleux une émotivité peut-être un peu trop forte pour un jeune ouvrier qui a déjà voyagé de par le monde. Difficile de croire, par exemple, que des cadavres de noyés bouleversent tant un marin expérimenté, ou qu'un homme ayant connu les jeunes filles peu farouches d'Orient se laisse embobiner par une petite Bretonne de quinze ans.
Néanmoins, le réalisme n'est pas la préoccupation première de Rachilde. Fidèle à l'esprit de l'école symboliste, elle se concentre avant tout sur la peinture de son histoire, sur la crudité de son cauchemar, sur la morbidité de son hallucination. Il faut prendre « La Tour d'Amour » comme une fable cruelle, une évocation dépressive du manque amoureux, de la solitude confinée à la folie, en un exercice de style sur la détresse amoureuse masculine. « La Tour d'Amour » est en effet une histoire d'hommes, les femmes n'y sont que des prétextes, des illusions, des rêves brisés. À de rares exceptions près, on ne croirait pas que ces pages ont été écrites par une femme. Elles l'ont néanmoins été par une femme qui connait extrêmement bien le coeur masculin, et a su en brosser un portrait réaliste et émouvant.
C'est peut-être même la qualité principale de « La Tour d'Amour » : ce n'est pas uniquement un récit horrifique ou grandguignolesque, il y a un fond, une substance, une expression des sentiments tourmentée, mais précise, rigoureuse, soigneusement travaillée, le tout servi par une écriture tantôt crue et caustique, tantôt romantique et désespérée, dans un décor authentique particulièrement bien choisi, qui témoigne du terrible apostolat que pouvait être, en cette époque reculée, la solitude désespérante du gardien de phare.
Si « La Tour d'Amour » n'est pas le plus « rachildien » des romans de Rachilde, ça n'en est pas moins un chef d'oeuvre authentique de la littérature « fin-de-siècle », qui parvient à marier des influences littéraires jugées souvent inconciliables, et qui témoigne encore aujourd'hui, avec une troublante intemporalité, du côté obscur de la Belle-Époque.
Lien : https://mortefontaine.wordpr..
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