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Critique de 5Arabella


Créée en janvier 1672 à l'Hôtel de Bourgogne, la pièce va connaître un franc succès, mais se maintiendra moins longtemps à l'affiche que d'autres pièces de Racine, et elle ne figure pas parmi les oeuvres de l'auteur les plus jouées. Elle sera publiée pour la première fois quelques mois après sa création. Racine a déclaré s'être inspiré d'un fait historique réel, rapporté par l'ambassadeur de France à Constantinople, le comte de Cézy, l'assassinat de deux de ses frères par le sultan Murat IV. Ce récit a d'ailleurs inspiré avant Racine, Ségrais dans les Nouvelles françaises. C'est Ségrais qui a introduit le motif de la sultane amoureuse dans l'histoire. Il est aussi probable que Racine ait utilisé pour bâtir son intrigue un épisode du roman d'Héliodore, Théagène et Chariclée.

Nous sommes à Constantinople, dans le sérail du sultan Amurat ( Murat IV). Ce dernier est à la guerre, et il a délégué une partie de son pouvoir à sa favorite, Roxane. En particulier, elle doit veiller sur Bajazet, un jeune frère du sultan, en sursis, pouvant être exécuté à toute heure, selon le bon plaisir du sultan, qui craint d'être un jour détrôné par son frère. Mais Roxane est tombée sous le charme de Bajazet, et envisage d'utiliser son pouvoir pour mettre ce dernier sur le trône à la place d'Amurat. Elle est encouragée à le faire à la fois par le grand vizir, Acomat, qui quelque peu en disgrâce, craint l'avenir que lui réserve Amurat, mais aussi par Atalide, une jeune fille de sang royal, en réalité amoureuse et aimée de Bajazet, qui essaie de le sauver et de le faire accéder au pouvoir, en entretenant la flamme de Roxane dans une forme de duplicité. Tout ce petit monde est en attente de connaître le sort de la bataille décisive que doit livrer Amurat, sa mort ou sa victoire pouvant changer la donne.
Roxane finit par se décider à franchir le pas, et soutenir Bajazet, appuyée par les soutiens d'Acomat, mais elle demande à Bajazet de l'épouser. Ce dernier ne veut pas, même pas faire semblant, et Roxane est prête à le faire tuer. Atalide, malgré sa jalousie, pousse Bajazet à feindre, en le menaçant de mourir avant lui. Roxane se laisse facilement tromper, et tout semble fonctionner comme prévu. Mais la jalousie d'Atalide se manifeste, et Bajazet se montre de nouveau froid avec Roxane, qui est par ailleurs sur pression, suite à la victoire d'Amurat, et l'arrivée d'un de ses serviteurs, venu surveiller l'exécution des ordres de son maître. La pièce se dirige vers sa fin tragique et sanglante.

Au final, le personnage le plus important de la pièce, est un absent, Amurat. C'est lui qui a mis en place la situation initiale : Bajazet enfermé et promis à la mort, le pouvoir donné à Roxane, la semi disgrâce d'Acomat qui le pousse à comploter. C'est lui aussi qui provoque en fin de compte le dénouement. Les personnages en présence en paraissent quelque peu dépourvus de consistance. Sauf Acomat, qui a clairement fait son choix et se montre très conséquent dans l'exécution de ses projets, les personnages principaux sont tous en face à un dilemme insurmontable. Roxane, hésite entre la voie confortable de rester la favorite d'un homme qu'elle n'aime pas, et risquer de tout perdre en faveur d'un homme qu'elle aime. Atalide est partagée entre son amour, qui la pousse à encourager Bajazet à courtiser Roxane, et sa jalousie et sa crainte de le perdre. Bajazet, qui même s'il est le personnage titre, est peut-être le plus pâle, répugne à se montrer malhonnête avec Roxane, qu'il méprise, à mentir et tromper, même s'il sait que sa vie et le pouvoir sont en jeu. Ce sont quelque part les femmes et Acomat qui le poussent à adopter un comportement qu'il désapprouve, et qui se livrent à travers sa personne à des jeux de pouvoir, qui lui échappent en grande partie. Roxane et Atalide sont finalement perdue par la passion, qui les empêche d'analyser la situation avec lucidité, et qui les fait agir de manière impulsive et qui les mènera à leur perte.

La situation est très ramassée, l'unité de lieu (une pièce du sérail), de temps (la journée où les personnages attendent de connaître le sort d'Amurat) et d'action (la mort ou l'accès au pouvoir de Bajazet) se justifient pleinement, sans rien d'artificiel ni forcé. le sérail, lieu d'enfermement, labyrinthique et étouffant, où les choses se décident entre deux teintures qui étouffent les voix, où des assassins muets peuvent à n'importe quel moment transformer n'importe qui en cadavre, est un endroit extrêmement propice à la tragédie.

Une très bonne pièce, qui mériterait d'être plus jouée.
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