AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de PrinceEndymion


Voici sans aucun doute l'épitomé du roman gothique. C'est en 1794 que sont publiés Les mystères d'Udolphe de la talentueuse Ann Radcliffe. A cette époque, elle n'est pas le premier auteur à se tourner vers des sources d'inspiration médiévale comme l'architecture religieuse, le classicisme, ainsi que le style Renaissance. Au XVIIIe siècle, l'Angleterre est fascinée par les vestiges issus de l'époque médiévale. le mouvement gothique est avant tout une esthétique qui prône la recherche de sensations ténébreuses, inquiétantes voire menaçantes: les châteaux en ruines, les vieux cloîtres, les monastères, les abbayes à l'abandon et les cimetières subjuguent les Anglais pour lesquels ils évoquent des catacombes, des passages secrets et des labyrinthes. le gothique éveille des sentiments tels que la mélancolie (au sens littéral du terme, c'est-à-dire des idées noires), l'anxiété, l'effroi et l'épouvante. Il s'inspire de poètes comme Milton et de son célèbre poème, Paradise Lost, lequel se caractérisait déjà par la noirceur de son thème. le surnaturel et l'onirisme occupent une place non négligeable dans les romans gothiques (les rêves prémonitoires, les maléfices ainsi que les amulettes et autres talismans sont très présents). Les Mystères d'Udophe est un roman qui abrite à lui seul la quintessence de l'esthétique gothique: au début de l'oeuvre, nous découvrons Émilie Saint Aubert, jeune héroïne ingénue et inexpérimentée cheminant aux côtés de son père. Au cours d'un voyage pour gagner le Roussillon, le père d'Émilie meurt, laissant sa fille orpheline. Elle est recueillie par sa tante, Mme Chéron (ce personnage aurait très bien pu servir de modèle à Charlotte Brontë pour concevoir le personnages de Mrs Reed, l'impitoyable tante de la narratrice dans Jane Eyre), femme orgueilleuse et malveillante. Commence alors un long calvaire pour Émilie qui ne se remet pas de la perte de son père, et qui doit céder aux caprices de sa tante qui ne manque jamais une occasion de la rudoyer. Un jour, Mme Chéron fait la connaissance d'un aristocrate italien, le signor Montoni dont elle s'entiche aussitôt, et qu'elle épouse en catimini. Émilie s'alarme de la décision inconsidérée de sa tante; ce mariage n'augure rien de bon à ses yeux. Quelques temps plus tard, Montoni prend la décision d'emmener sa femme ainsi qu'Émilie en Italie, dans son château d'Udolphe, au coeur des Apennins. Vous vous doutez que le récit va prendre une tournure inattendue et captivante; ce qui m'a le plus exalté dans la lecture de cet extraordinaire roman est le fait que le lecteur n'est jamais au bout de ses surprises: l'auteur parvient à créer un suspense et à nous donner des frissons avec un langage très minimaliste au sein duquel la menace est constamment latente, et néanmoins tangible: le château d'Udolphe, niché "le long d'un affreux précipice", est un endroit terrifiant abritant d'innombrables passages secrets, ainsi que des secrets fuligineux, à commencer par un tableau éternellement dissimulé par un voile. Il se caractérise par son architecture unique, de hautes tours pointues et de longs remparts. Lorsqu'on observe les rapports des personnages entre eux (notamment ceux de Montoni et de son épouse), on ne peut s'empêcher de remarquer quelque chose qui rappelle le marquis de Sade. Cependant, à la différence de ce dernier qui prend plaisir à malmener la vertu, Ann Radcliffe la fait triompher: en dépit des malheurs et des sévices qu'elle subit, Émilie trouve la force (virtus signifie force en latin) de faire front face aux pires infamies qui lui sont infligées. Sa peur, très contagieuse, gagne très vite le lecteur qui frémit avec elle. L'auteur ne recourt nullement à des images sanglantes ou à une violence explicite pour nous terrifier: en instaurant une atmosphère menaçante, froide et austère, elle fournit au lecteur ce qu'il recherchait: l'épouvante. On comprend pourquoi Jane Austen mentionne ce roman à plusieurs reprises dans l'excellent Northanger Abbey. Les Mystère d'Udolphe connurent un succès retentissant auprès de toutes les classes sociales en Angleterre (le roman gothique faisait l'unanimité dans l'Angleterre du XVIIIe siècle). La renommée de ce roman ne vieillit pas; il demeure une référence incontournable de la littérature gothique. Jamais une lecture ne m'aura donné tant de sueurs froides.
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}