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Critique de berni_29


Tout de même ! Quel magnifique titre tentateur ! le Diable au corps. Fallait trouver...
Et puis l'incipit, quel incipit ! Je vous le partage pour le plaisir...
« Je vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je? Est-ce ma faute si j'eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d'une sorte qu'on n'éprouve jamais à cet âge ; mais comme il n'existe rien d'assez fort pour nous vieillir malgré les apparences, c'est en enfant que je devais me conduire dans une aventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras. Je ne suis pas le seul. Et mes camarades garderont de cette époque un souvenir qui n'est pas celui de leurs aînés. Que ceux déjà qui m'en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »
Il y a une désinvolture et une lucidité sur cet adolescent qui regarde de loin la guerre commencer.
Longtemps le Diable au corps fut pour moi une révélation. Révélation de la littérature, révélation sensuelle de l'adolescent que je fus à la découverte de ce roman vers l'âge de quinze ans, c'est-à-dire à l'âge du narrateur au début de l'histoire, mais surtout l'âge où l'écrivain Raymond Radiguet commença d'écrire ce roman...
La lecture de ce roman offert par mon meilleur ami de l'époque fut, non pas un acte fondateur, n'exagérons pas, mais un instant important. Bref ! J'avais adoré ce roman, mon premier grand coup de coeur littéraire. Pourquoi ? Pour un tas de raisons, le cadeau d'un ami tout d'abord, le récit ensuite, son côté provoquant, sulfureux, l'histoire d'amour portée par ce récit, le personnage principal qui avait mon âge et que j'enviais dans son audace, même si plus tard il m'a agacé, le côté anarchiste, le pied-de-nez ou le bras d'honneur, prenez le comme il vous vient, à l'armée, à l'ordre, au conformisme... Longtemps j'ai aimé ce texte pour tout cela.
Vous connaissez l'histoire ? Je vous la rappelle vite fait ?
Durant la première guerre mondiale, le narrateur s'éprend d'une jeune femme, Marthe, dont l'époux, Jacques, est au front. L'amour fou, absolu qui unit les deux amants, constitue l'ossature du roman.
Affront à la morale bourgeoise, affront à la mémoire des anciens combattants, l'oeuvre a connu un très grand succès mais a suscité la polémique : divisant pratiquement la France en deux.
Très peu d'années après ma première lecture, peut-être seulement deux ans après, j'avais lamentablement échoué au bac de français. En classe de terminale, je m'étais inscrit de manière optionnelle à un cours de français, afin de parfaire cette matière et de rattraper ma note déplorable.
Le professeur, un jeune professeur un peu dandy dont tous les élèves se moquaient après les cours, avait invité ses élèves à présenter un coup de coeur littéraire. Et j'eus l'idée de présenter le Diable au corps. Pour étayer mon choix, mon propos, j'eus l'idée de lire un ou deux passages. Je pense que le premier passage était ce premier baiser entre les amants devant la cheminée où les flammes de l'âtre jouaient un décor haletant, les lèvres des deux amants s'approchaient comme deux aimants.... le second extrait était plus charnel... J'y avais vu des mots qui exprimaient selon moi quelque chose d'érotique....
Et là ce fut pour moi un grand moment de solitude. J'avais commencé par présenter le roman, son contexte sulfureux, à scandale, j'avais tenté de chauffer la salle et lorsque j'ai lu ces deux passages dont je pensais qu'ils allaient emporter le public par leur incandescence, ce fut à la fois un flop et une volée de ricanements, j'étais la risée de la classe... Certes j'étais moins précoce que l'auteur et cela devait se voir sur mon visage pourpre qui suppliait le ciel de le déniaiser à la seconde même... La bienveillance du professeur fut exemplaire et me sauva de ce marigot.
C'est là que j'ai compris que l'érotisme de ce roman était plutôt digne de figurer dans la Bibliothèque Rose.
Cela dit, aujourd'hui, avec une quarantaine d'années de recul, et en ayant tout de même relu ce roman tout récemment avec le regard de mon âge, je reconnais que le texte a un peu vieilli. Pourtant, les phrases demeurent magnifiques. Pourtant je trouve ce roman formidable.
Je sais l'importance de ce texte pour moi, que je ne renierai pour rien au monde... Je sais la distance que j'y ai mis plus tard, comme un vieil ami qu'on quitte et puis qu'on retrouve. Triste mais heureux...
Je voulais vous partager ce soir cette tristesse et ce bonheur.
Près de cent ans après, je me suis demandé d'où venait le scandale suscité par un tel récit. Ce fut, parait-il, l'un des grands scandales littéraires de l'entre-deux-guerres.
J'y ai vu quatre endroits où tout ceci serait bien cocasse aujourd'hui. En 1923 date de parution du roman, la France se remet à peine de la première guerre mondiale, et voilà une histoire d'amour passionnelle, avec des scènes "torrides" pour l'époque, je précise bien pour l'époque (première raison), pendant la guerre (deuxième raison), d'un adolescent avec une femme mariée, cela dit ils ont à peine trois ans de différence d'âge (troisième raison), mariée à un soldat qui combat sur le front pendant que les amants se donnent du plaisir (quatrième raison). Stop ! N'en rajoutez plus !
Le narrateur se sait veule, égoïste, lâche et audacieux, autoritaire, il se sait le maître dominant d'une Marthe docile. Ce dernier point m'a totalement révolté, dernier point que j'ai seulement vu à la troisième lecture, comme quoi... tandis que pour le reste, cela ne me dérangeait pas. Je m'en veux.
Le livre est épris d'une beauté formelle, l'audace est simple dans le style et les idées, c'est ailleurs qu'il faut trouver la révolte et le chamboulement.
Voici une image de l'arrière du front dont il y a peut-être si peu de littérature. Peu de texte ose parler peut-être de manière aussi forte du désir physique qui manque durant ces quatre années de guerre. Pendant ces quatre ans, des femmes jeunes voient progressivement des hommes revenir du front, blessés, amputés, totalement invalides... Certains meurent... C'est peut-être le moins pire... Ce sont des femmes seules, dont la guerre a enlevé le désir, ou peut-être l'a simplement éloigné.
Raymond Radiguet était précoce dans le génie, il le fut dans une mort venant sceller une vie fulgurante. Il fut célébré comme un mythe par une génération de la guerre qui n'avait pas fait la guerre, mais que la guerre a profondément marqué.
Est-ce le personnage de l'adolescent oisif qui dérange l'ordre moral, ou bien la femme infidèle qui cristallise le déshonneur de la France ?
Aujourd'hui, ayant lu et relu le texte et d'autres propos tout autour, je l'admire et en même temps je le tiens à distance.
Je ne crois pas que l'ouvrage ait eu pour objet d'offenser les soldats au front. Je ne crois pas non plus qu'il faille y voir un plaidoyer pacifiste contre la guerre. L'auteur était totalement à côté de cela. C'est vrai, plus tard dans les années soixante-dix, nous avons lu des propos qui pourraient récupérer le roman : « Faites l'amour, pas la guerre ! » ou bien celui-ci anarchiste et bien plus provoquant : « Vivement la guerre qu'on baise les veuves ! ». Bousculer la morale bourgeoise de l'époque, ça oui !
En dehors de quelques anciens combattants, ils sont finalement peu nombreux à s'indigner de cette histoire d'adultère entre un lycéen et l'épouse d'un soldat combattant dans les tranchées.
Non, ce qui scandalisa l'opinion publique, c'est peut-être le fait que cette histoire n'était pas sortie de l'imaginaire dun jeune écrivain precoce, mais tout simplement de sa propre expérience vécue...
Contrairement à certaines critiques, à ma troisième lecture, je serai plus indulgent, c'est un grand morceau de littérature notamment dans la manière du narrateur d'approcher Marthe, de la séduire, de découvrir qu'il l'aime plus tard, bien plus tard...
Il me reste la voix d'un texte qui est à la fois presque antique pour moi, réel, profondément actuel.
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