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Critique de irisrivaldi


Pierre de lamentation

Présentation :

Le préambule de « Syngué sabour, Pierre de patience » de Atiq Rahimi précise, laconique, que cette histoire a lieu « quelque part en Afghanistan ou ailleurs ».
En effet, comme le propos se veut universel, ce récit pourrait se passer partout où règne le chaos. Et sur terre, le choix est vaste… Ici, nous sont contés la folie ordinaire du monde, sa misère, son cortège d'absurdités.

Dans la mythologie perse, la « syngué sabour » est une pierre magique à laquelle est associé un rituel : on la pose face à soi pour lentement y déverser sa souffrance, la pierre écoute, absorbe comme une éponge tout ce qu'on lui confie jusqu'au jour où elle éclate. Alors, on est délivré.
Le décor est posé : un homme, une femme, différents personnages secondaires, la guerre et son horreur brute. le tout obéit aux codes classiques de la tragédie.
L'homme, parti combattre au nom du djihad, a reçu une balle dans la nuque qui l'oblige à végéter dans le coma. À son chevet, sa jeune épouse accomplit les gestes de soins quotidiens. Elle voit ce corps diminué dépérir, maintenu en vie par un mélange d'eau sucrée-salée. le temps s'égrène, juste rythmé par la respiration du comateux. Les tirs de mitrailleuses viennent par moments briser la monotonie.
La femme qui, de par sa condition, n'a pas l'habitude d'exprimer ses émotions entame un monologue, qui peu à peu prend la forme d'une mélopée. Ses paroles s'envolent bien plus loin qu'elle pour se transformer en défouloir. Jusqu'ici murée dans le silence, sa rancoeur explose, ses retranchements cèdent. La femme décide en effet de faire de cet époux mal en point sa « syngué sabour ». L'homme sera malgré lui le réceptacle d'inavouables secrets. Jusqu'à l'ultime.

Mon avis :

L'auteur a réussi à montrer avec un talent sans égal combien l'humanité ne se contente pas de toucher le fond. Non, c'est plus fort qu'eux, même à terre, les humains doivent encore racler, se soulager en grattant leurs plaies.

L'écriture est d'une extrême fluidité ; j'ai lu le livre en moins d'une soirée. Ce qui n'en fait pas pour autant un texte facile ou superficiel.
Ceci dit, certains choix narratifs m'ont heurtée. Exprimer son trop-plein de frustrations par la grossièreté, pourquoi pas. Les mots crus sont parfois libérateurs. Admettons. Vouloir ainsi casser un rythme languissant, qui aurait pu devenir soporifique, ça se défend. Mais à certains moments, j'ai trouvé surprenant qu'une femme si soumise puisse se lâcher à ce point. le propos n'aurait, je crois, rien perdu à sa tension dramatique sans ce traitement ordurier.

Par ailleurs, une chose, n'ayant rien à voir avec l'histoire proprement dite, me laisse perplexe. L'auteur franco-afghan, qui a écrit « Syngué sabour » directement en français, justifie ce choix car il lui fallait « une autre langue que la sienne pour parler des tabous ». Soit. La langue française n'est plus à ça près...
Son livre a par ailleurs été récompensé du prix Goncourt 2008 – une très belle reconnaissance ainsi qu'une distinction littéraire suprême, comme le sait chacun. Avec à la clé beaucoup de ventes, comme nul ne l'ignore. Il est bien évident qu'une traduction n'aurait pu connaître pareil couronnement. Décidément, tout un univers m'échappe concernant ce qui se trame dans les hautes sphères…
En tout état, même si je suis habituée à manier plusieurs idiomes, j'avoue ne pas comprendre pourquoi on ne pourrait exprimer ce qui noue les tripes dans sa propre langue. Les tabous ont parfois bon dos.
Lien : http://scambiculturali.over-..
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