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Critique de sguessous


Quand j'ai annoncé à mon père que je lâchais un CDI pépère pour me lancer – contrainte et forcée – dans la pige, j'ai eu droit à cette phrase uppercut : « Tu seras payée à la tâche ? Une 3attacha, quoi ! »

Admirez la sagacité populaire. Dérivé de l'expression À la tâche, le mot Âattach veut dire « assoiffé » en dialecte marocain. Maçons, peintres, jardiniers, femmes de ménage… Faute d'emplois pérennes, les Aâttacha attendent qu'on daigne faire appel à leurs services, affalés sur une place publique, parfois sous un soleil de plomb. Au bout de l'attente, les tâches qu'ils accomplissent sont ingrates et payées une misère, naturellement.

J'ai repensé à ce mot terrible en lisant « Bienvenue dans le nouveau monde, comment j'ai survécu à la coolitude des startups » de Mathilde Ramadier (Éditions Premier Parallèle, 2017). Ici, les 3attacha sont très jeunes, ultra-diplômés. Si leur travail n'est pas aussi pénible que celui d'un ouvrier rémunéré à la tâche, ils ont quand même quelques trucs en commun : le côté corvéable à merci, sous-payé et jetable.
Génération 1000 euros

« de quoi as-tu besoin pour exceller à ce poste ? D'avoir faim et d'être poussé au-delà de ton sens du devoir« , lit-on dans un passage décrivant les injonctions – enrobées de douceur – faites aux jeunes recrues dans cet univers de winners.

Avoir faim et soif pour se donner à fond. Un gisement de crevards dociles et résignés à portée de main. Ça vous rappelle quelque chose ? Ou quand l'eden de l'innovation prend des airs moyenâgeux…

Le livre de Mathilde Ramadier nous fait entrer dans l'arrière-cuisine de la startup nation que fait miroiter Emmanuel Macron aux Français. C'est ici que se mitonnent ces éléments de langage aseptisés et galvaudés qui imprègnent jusqu'aux discours politiques. « Personne ne connaît le sens du mot « impossible », tout le monde agit, retrousse ses manches, sue, sans paresse ni inhibition » (…) « le génie, c'est 1% d'inspiration et 99% de transpiration », « nous sommes courageux et persévérants », « notre mission, changer le monde », « nous n'abandonnons jamais », etc.

Dépasse-toi ou crève. Avance sur ta to-do list, deviens une machine de productivité, de créativité (lol). Encaisse sans moufter ta paie mensuelle de 500 euros. Et estime-toi heureux ! Il y a de la pizza et des bières au frigo, et des coupelles de bonbons à tous les coins, et une table de ping-pong pour décompresser.

Au fil des pages, le rêve en baudruche se dégonfle. La hiérarchie soi disant plate montre ses asperités désagréables, ses tableaux de rendement, à remplir ensemble tous les jours, pour voir quel petit robot a abattu le plus de boulot et lequel est à la traîne (Loser !). Peu à peu, les petites mains de la Silicon Allee berlinoise découvrent l'inanité de leur job, leur condition de vacuum managers (managers du vide). Lessivés, ils partent « vers de nouvelles aventures » ou se font éjecter. de toute façon, des crevards, il y en a à la pelle.

Ça fait du bien de lire autre chose que des articles dithyrambiques sur l'univers fascinant des startups. Je vous recommande cet ouvrage qui se lit en moins de trois heures et apporte quelques nuances de gris dans un monde saturé de filtres Instagram.
Lien : https://sanaguessous.com/201..
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