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Critique de berni_29


Aujourd'hui c'est mercredi et mercredi, c'est... ?
« Les histoires à Berni ! »
Sandrine, la maîtresse d'école a fait entrer les élèves dans la classe. Nous étions quelques jours après la rentrée scolaire et autant vous l'avouer tout de suite, les résultats n'étaient pas fameux malgré le redoublement de toute la classe, à tel point qu'on se demandait s'ils n'allaient pas régresser encore d'une classe. Aussi il était temps de passer aux manettes.
Les enfants m'attendaient un peu penauds pour une fois. Ils se demandaient à quelle sauce ils allaient être mangés.
On aurait entendu une mouche corse voler. J'ai quand même évoquer les mauvaises notes de la rentrée. Je ne pouvais pas faire l'impasse sur le sujet.
« C'est normal, a fait la petite Nico d'un air désolé mais avec un petit air de mauvaise foi quand même, tu ne viens pas assez souvent alors on fait n'importe quoi. »
À présent, mon histoire pouvait commencer, mais auparavant il faut que je vous raconte ce qui s'est passé lorsque je suis allé chercher le livre auprès de ma médiathèque préférée. Je ne sais pas pourquoi, à ce moment-là les enfants ont levé les yeux au ciel en soupirant.
Au moment d'entrer dans le hall d'entrée de la médiathèque, j'ai entendu dire : « Attention, le voilà. » J'ai fait comme si je n'avais rien entendu.
Il régnait dans la médiathèque un silence étrange, anormal. Il y avait juste près de l'accueil assise sur la méridienne une vieille dame en bas résille rouge qui lisait un manga à l'envers. Mais où était passé le charmant personnel ? Je me suis dirigé vers le rayon jeunesse et là j'ai vu la jeune responsable du rayon, d'ordinaire si délurée, en larmes, elle était accoudée sur le comptoir de son kiosque, la tête enfouie dans ses bras, sa silhouette secouée de sanglots.
« Mais que t'arrive-t-il ? ai-je demandé.
- Ah, c'est toi, Berni... Hé bien justement, c'est à cause de toi que je pleure.
- À cause de moi, mais qu'ai-je fait ?
- C'est à cause de tes publications sur Babelio, haha ! tes fameuses histoires du mercredi qui font tant rire tes amis... Mais moi j'y suis décrite comme une blonde sotte, écervelée, je suis totalement ridiculisée par tes histoires... Alors forcément, les enfants qui viennent ici ne me respectent plus... »
Brusquement, j'ai vu toutes les bibliothécaires sortir une à une de leurs rayons et venir d'un seul élan de générosité consoler leur collègue du rayon jeunesse. Elles étaient prises elles aussi de sanglots presque convulsifs. J'étais ému. J'en avais le coeur brisé.
A ce moment-là une porte s'est ouverte d'un geste brusque, c'était le bureau de la directrice qui a fait irruption dans le grand espace commun. « Mais quel est ce vacarme ? s'est-elle exclamée en regardant autour d'elle. » Puis elle m'a vu. Elle s'est approchée d'un pas ferme. Les pages des livres et des magazines se soulevaient à son passage.
« Ah c'est toi Berni ! Quelle affaire ! Tu as vu dans quel état tu mets mes troupes ? Sans parler de ce qui se passe au conseil municipal. Sais-tu qu'à cause de toi, la Mairie veut diminuer notre subvention annuelle. Même l'opposition s'est rangée pour une fois du côté du Maire, c'est te dire... Dans tes billets, nous sommes dépeintes tantôt comme des harpies, tantôt comme des demeurées... nous sommes la risée du canton, pour ne pas dire de France et de Navarre. » Elle a pris une voix grandiloquente pour accentuer l'effet des tous derniers mots, façon gaullienne, c'était plutôt réussi.
« Et puis il n'y en a plus que pour les libraires de la commune, les Julie que tu sembles vénérer comme des déesses. Les Julie, par-ci, les Julie par-là ! Haha ! le secteur privé lucratif te plaît davantage, on dirait. C'est du propre ! Beau soutien au secteur public Môsieur Berni ! » Elle levait les bras au ciel, les bibliothécaires l'ont applaudie. Puis elle s'est avancée vers moi, la voix devenant presque un murmure confidentiel comme si elle allait me révéler un secret.
« Mais Berni, tu sais pourtant comme moi que nous avons tant besoin du secteur public et qu'aujourd'hui le secteur public, il part en… »
Elle a hésité, regardant autour d'elle, cherchant ses mots, elle a fait un geste vague, balayant la grande pièce avec son bras comme pour essayer de décrire le mot resté suspendu à sa pensée.
« Il part en... ? ai-je questionné d'un air interrogatif.
- Enfin oui, quoi, il part en… »
Vraiment, quand ça ne veut pas...
« Il part en… ? ont fait les bibliothécaires d'une seule et même voix, les regards suspendus aux lèvres de leur directrice.
- Il part en… ? a fait la vieille en bas résille rouge sur la méridienne et qui lisait un manga à l'envers.
- Eh bien... Eh bien... a fait la directrice qui ne voulait pas perdre la face, il part en distribil (*), voilà ! »
On a senti un grand soulagement se lire sur le visage des bibliothécaires. Je leur ai promis alors que dorénavant mes propos seraient plus conciliants à l'égard du charmant personnel de la médiathèque dans mes billets sur Babelio, mais j'étais drôlement remué par toute cette mésaventure. Ça a eu l'air de les satisfaire. Voyant ma mine un peu dépitée, la jeune responsable m'a tendu la BD que j'étais venu chercher pour lire aux élèves de la classe de CE2 de Sandrine, la maîtresse d'école. C'était le grand méchant renard , de Benjamin Renner.
Quand je suis sorti de la médiathèque, j'étais à peine sur le parvis que j'ai entendu des rires éclater, des youyous suivi de : « ça a marché », puis « Chut ! Il va nous entendre ». Vous connaissez ma discrétion, j'ai fait celui qui n'avait rien entendu.
La petite Anna est sortie du rang, a jeté un regard vers le groupe. Elle a pris un petit air empli d'assurance pour ne pas dire d'aplomb, tandis que derrière elle ses copines la poussaient vers l'avant... Elle s'est avancée vers moi.
« Dis-nous, Berni-Chou, a fait la petite Anna m'interpelant dans mes pensées, c'est sympa tes histoires de libraires et de bibliothécaires, on compatit tous ici à la déliquescence du service public, mais faudrait voir à nous dépoter ton histoire avant l'heure de la récré, hein... »
Je voyais bien que ça s'impatientait dans les rangs, je me suis alors approché des élèves en cercle en montrant la couverture de la BD.
« Aujourd'hui je vais vous raconter l'histoire d'un animal, le grand méchant renard.
- Zut, c'est le retour d'un animal méchant, a fait la petite Dori, la bouche barbouillée de chocolat, tu nous avais pourtant promis...
- Oui, mais vous allez voir que celui-ci n'est pas si méchant que ça.
- Pourquoi ? Il porte un slip ? a demandé innocemment la petite Domi.
- Des bretelles, alors ? a suggéré la petite Isa.
- Un kilt ? a dit la petite Anne-Sophie.
- Un kilt sans slip ? a ajouté la petite Sylvie.
- C'est un pléonasme ! a fait la petite Chrystèle en haussant les épaules.
- Il tricote des Damart à coucougnettes, a proposé la petite Hélène.
- Il se promène avec une brouette ? a proposé la petite Manue.
- Il fait du bateau avec sa brouette et il se sert de son slip comme voile ! a renchéri la petite Sonia.
- Il lit Proust ? a demandé la petite Anna l'oeil brillant.
- Il lit Proust en slip ? a tenté la petite Francine.
- Il lit Proust en slip dans une brouette ? a conclu la petite Dori qui pouvait enfin s'exprimer clairement.
- Non, vous n'y êtes pas du tout. C'est un renard tout à fait normal et ordinaire à la base, voilà il est tout simplement peureux et quand il tente d'effrayer les oiseaux, il se fait tout bonnement traiter d'un dédaigneux face de pet parmi ceux-ci. Mais avant de poursuivre l'histoire, on va imaginer que tous les personnages du livre sont dans la classe.
J'ai lancé le casting et je crois que l'idée a tout d'abord un peu effrayé Sandrine, la maîtresse d'école, car jusqu'à présent les élèves étaient plutôt calmes et la classe venait juste d'être bien rangée.
« Tout d'abord, il me faut un lapin idiot. »
Personne n'a bronché.
- Et aussi un cochon jardinier. »
Tous les regards se sont portés vers la petite Dori dont les joues étaient encore totalement badigeonnées de chocolat et qui avait dans la bouche autant de nounours à la guimauve qu'il y avait de chapeaux roses dans la garde-robe de la reine d'Angleterre.
- Mais euh ! Scrogneugneu ! a-t-on compris de ce qu'elle nous a répondu.
- Il me faut aussi un chien paresseux.
- Il n'est pas trop dur à jouer, ton chien paresseux ? a demandé le petit Pat plein d'initiatives.
- Non, tu verras, justement il n'y a rien à faire. »
Puis j'ai ajouté : « Et enfin il faudrait une poule caractérielle ».
Là j'ai bien vu au moins une dizaine de mains se lever.
« On va dire qu'elles sont plusieurs en effet dans le poulailler. Quant à moi, si vous en êtes d'accord je jouerai deux rôles : le lapin idiot et le renard chétif.
- Promis que cela restera entre nous et que ça ne s'ébruitera pas, Berni-Chou, a fait la petite Anna d'un petit air malicieux, on va dire que ce sont deux rôles de composition, n'est-ce pas les copains ?
- Vouiiiiiiii ! » ont crié en choeur les élèves. Vraiment, ils sont formidables ces élèves.
Face à un lapin idiot, un cochon jardinier, un chien paresseux et une poule caractérielle, un renard chétif tente de trouver sa place en tant que grand prédateur. Il voudrait être le grand méchant renard et cherche à kidnapper les poules de la ferme. Malheureusement il manque de ruse et n'est guère impressionnant à l'invserse de son ami le loup qui essaie de le conseiller comme il peut ; pourtant notre ami ne manque pas de pugnacité et revient souvent à l'ouvrage, mais les poules savent taper du bec.
Le cochon jardinier, le lapin idiot, même le chien paresseux qui fait office de chien de garde, l'ont pris en pitié et lui offrent des navets, des betteraves, mais ça ne nourrit pas son renard, ça.
Son ami le loup lui suggère une idée : voler des oeufs, les couver, élever les poussins qui en sortiront, les effrayer et les croquer.
Aidé du loup qui fait diversion en hurlant, le renard réussit à voler trois oeufs en toute discrétion. L'idée est de les couver, de faire éclore les poussins, de les engraisser, et de s'en régaler ensuite.
Les trois oeufs finissent par éclore et aussitôt les trois poussins qui en sortent, à la vue du renard éberlué, se mettent à crier : « Maman ! Maman ! Maman ! »
Alors les poussins se mettent aussitôt à suivre le renard partout sans le lâcher. de vrais pots de glus.
« Tiens ! Si on changeait de rôle, a suggéré la petite Nico goguenarde.
- Lol ! a fait la petite Sonia.
- Ugh ! » a fait la petite Manue.
Et tous les élèves se sont mis à courir après moi en criant « Maman ! Maman ! Maman ! », parsemés de « Piou ! Piou ! Piou ! » improbables. Il n'aurait pas fallu que l'Inspecteur d'Académie arrive à ce moment-là.
Mince ! le coup du casting, c'était pas du tout une bonne idée. Pourtant, dans l'histoire il était bien écrit qu'il n'y avait que trois poussins-renards.
J'ai tenté de finir mon histoire comme j'ai pu, en courant tout autour de la pièce, poursuivi par une horde de poussins-renards. Sandrine, la maîtresse d'école a laissé faire car elle a vu l'occasion de transformer l'histoire du mercredi en cours de sport. Ou bien peut-être qu'elle devenait philosophe, fataliste, réaliste en constatant qu'au retour des vacances j'avais besoin de perdre quelques kilos.
« Et moi, je continue toujours le chien paresseux ? » a demandé le petit Pat qui commençait à s'ennuyer dans son coin à ne rien faire. Zut ! On l'avait presque oublié.
Le renard, qui a couvé, vu naître, élevé les trois petites boules de plumes finit par s'y attacher et découvre en lui un instinct maternel. Il va donc devoir les protéger du grand méchant loup, et faire comprendre aux poules de la ferme, désormais très organisées contre les attaques, qu'il ne leur veut plus de mal… La mission est mal engagée, quoique les trois poussins-renards ont au contact de leur « maman » développé des facultés de défense très canines...
Je vous rassure, l'histoire se termine bien. Pour moi aussi...
C'est Sandrine, la maîtresse d'école qui a sifflé la fin de la récréation, constatant l'état de la classe. « On va laisser Bernard reprendre sa respiration, il n'est plus tout jeune, il faut le ménager si nous voulons qu'il revienne nous raconter d'autres histoires. » Elle est vraiment gentille la maîtresse d'école, toujours le mot qu'il faut, attentionné, juste, bien placé au bon endroit.
Les enfants ont adoré cette BD pétillante, poétique, pleine de tendresse, d'humour et de dérision, qui renverse les stéréotypes de manière jubilatoire et porte aussi de belles réflexions.
Le récit est truffé de mille et une péripéties drôles, touchantes, décalées, avec des dessins très expressifs, qui font que l'unique argument de l'histoire tient formidablement la route jusqu'au bout.
« Elle est chouette ton histoire, camarade ! a fait la petite Gaëlle tout attendrie. Il y a de beaux personnages et c'est vrai qu'on a besoin d'eux. »
Elle a raison la petite Gaëlle, on a toujours besoin d'oeufs !!!
(*) : mot breton signifiant : de travers.
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