AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gabb


gabb
24 novembre 2019
Et v'lan, dans les dents !!!
Permettez que je reprenne un peu mes esprits, je viens de me manger l'homme-dé en pleine face, et croyez moi ça secoue.
J'en ai lu des trucs tordus, mais alors là ... il m'a complètement retourné la cervelle, le saligaud !

Remarquez je suis pas tout seul : depuis sa parution en 1971, la vraie-fausse autobiographie du docteur Luke Rhinehart en a fait des remous. Elle aurait même été jugée trop subversive et à ce titre censurée dans une cinquantaine de pays. Faut dire qu'il y va fort, le type ! le voilà qui dé-cide subitement de dé-sintégrer sa paisible existence de psychiatre new-yorkais reconnu et de confier au Dé, élevé au rang de divinité omnisciente, les rênes de son destin.
Au diable les conventions, la bienséance, les carcans sociaux, les cas de conscience et le regard des autres : il ne suffit plus désormais que de dresser, à la moindre occasion, des listes d'actions, de réactions, de comportements à adopter ou de personnages à incarner, puis de laisser le Dé faire son choix parmi toutes ces options préétablies, aussi incongrues, dangereuses ou amorales soient-elles.
Appels au viol ou au meurtre, dé-viances et dé-bauches en tous genres : quoi qu'il arrive, toujours se conformer aveuglément aux impératifs du Dé !
Puisque la vie n'a aucun sens et ne conduit toujours qu'à l'échec, autant s'en remettre au Hasard.

Vaste programme de dé-sintégration mentale en trois points.
• D'abord le simple jeu de rôles censé pimenter le quotidien ("c'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui", parait-il...)
• Ensuite l'expérience psychanalytique, la thérapie de choc saugrenue mais excitante visant à se libérer de son "moi" afin de "devenir multiple", à dé-truire sa personnalité dominante en laissant à ses plus bas instincts et ses "moi minoritaires" la possibilité de s'exprimer sans se soucier des conséquences.
• Et pour finir, bien sûr, l'aliénation totale du sujet, la dé-mence la plus malsaine.

Quand toutes les inhibitions sont levées, quand le Dé tout-puissant invite les pulsions enfouies à refaire surface, quand la schizophrénie devient le socle de l'existence, alors c'est l'avènement du chaos, la négation totale et dé-finitive de tout ce qui fait de l'homme un animal social. le pire est que Rhinehart, non content de jouer à la roulette russe sa vie d'époux, de père et médecin, entraine nombre de ses collègues, patients et amis dans ses dé-lires morbides. Ses théories font des émules, son jeu de la mort et du hasard prend de l'ampleur et bientôt des CETRE ("Centre expérimentaux en milieu totalement hasardeux") fleurissent sur tout le territoire.
Un truc de dingue, je vous dis !
L'auteur m'avait pourtant mis garde dans la préface : "je vais raconter la tentative instinctive d'un homme pour se réaliser d'une façon nouvelle, et l'on me jugera fou. Qu'il en soit ainsi. S'il en était autrement, je saurais que j'ai échoué". Cher Luke soit rassuré, ta réussite dépasse probablement de très loin tes espérances...

Apparemment certains lecteurs ont trouvé ce récit loufoque et amusant.
Ce n'est pas l'effet qu'il m'a fait, et je garderai plutôt le souvenir d'une oeuvre noire et perturbante - qui m'a captivé, ne vous y trompez pas ! - doublé d'un manifeste trashissime en faveur du droit à l'expression de tous les fantasmes. En bref un roman culte et dé-rangeant, et un terrible aveu d'échec de la psychanalyse.
La thèse du docteur Rhinehart est d'ailleurs foutrement bien étayée, au point d'accroitre chez le lecteur un certain sentiment de malaise, notamment quand la folie du narrateur se fait contagieuse ("j'ai engendré en vous une puce qui va vous gratter éternellement. Oh, mon Lecteur, vous n'auriez jamais dû me laisser naître [...] La puce qu'est l'homme-dé oblige à se gratter sans arrêt : elle est insatiable. Vous ne connaîtrez plus un moment sans démangeaison, à moins, bien sûr, que vous ne deveniez vous-même la puce").
Me voilà donc mordu, infecté à mon tour par l'aiguillon d'une plume piquante et incisive que je n'oublierai pas de si tôt.
Le mal est fait, alea jacta est...
Commenter  J’apprécie          253



Ont apprécié cette critique (21)voir plus




{* *}