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Critique de boudicca


Dana est une jeune femme tout ce qu'il y a de plus ordinaire qui aspire à une vie de famille et commence à s'inquiéter de voir l'horloge biologique tourner sans parvenir à trouver le compagnon idéal. Ses attentes vont toutefois se retrouver soudainement comblées par l'irruption dans sa vie de Basile Paternoster, un homme beau, romantique au possible et occupant une position sociale avantageuse. Issue d'un milieu plutôt modeste et souvent renvoyée à ses origines kabyles, Dana va rapidement tomber sous le charme du beau blond qui lui sort le grand jeu. Alors certes, tout n'est pas toujours tout rose, monsieur ayant tendance à souffler le chaud et froid et à se montrer un brin paternaliste, mais rien de rédhibitoire pour la jeune femme. Arrive le moment où, la relation devenant sérieuse, Basile décide de présenter sa dulcinée à sa famille, à savoir son frère et ses parents qui résident dans une vieille maison de famille dans la Dombes. Rencontrer ses beaux-parents n'a généralement rien d'une partie de plaisir, mais là, il faut admettre que notre héroïne est tombée sur de sacrés phénomènes. La mère, Célia, est d'une froideur qui frôle l'impolitesse et multiplie les remarque sibyllines qui font rapidement naître des sueurs froides chez la jeune femme, de plus en plus mal à l'aise. le père, lui, est d'un naturel plus avenant mais peut s'avérer par moment aussi déstabilisant, forçant l'air de rien la jeune femme à accepter des choses auxquelles elle répugne d'ordinaire. Très vite, le malaise grandit chez Dana qui ne se sent pas à sa place dans cette vieille famille bourgeoise dont elle ne connaît pas les codes et qui semblent lui rappeler constamment qu'elle ne fait pas partie du clan. L'inquiétude devient telle que l'héroïne en vient à se demander si elle ne serait pas carrément en danger dans cette maison. Après tout, il n'y a rien à des kilomètres à la ronde, et certaines allusions des Paternoster à leurs histoires de famille font froid dans le dos. Et si cette famille n'était en réalité pas ce qu'elle prétendait être ? Et si Dana était en train de tomber dans un piège ?

Le roman s'inscrit pleinement dans le genre fantastique mais le surnaturel ne se manifeste que par de tous petits phénomènes pour lesquels on pourrait tout à fait trouver des explications rationnelles, ce qui explique que l'ouvrage ait été plutôt catalogué en littérature blanche. L'autrice oscille habilement tout au long du récit à la frontière entre surnaturel et réalité, certains événements venant infirmer la thèse d'une famille simplement bizarre quand d'autres tendent au contraire à sous-entendre que Dana n'est pas toujours une narratrice fiable et que son jugement a pu être altéré (par l'alcool, une insolation, l'angoisse de rencontrer sa belle-famille…). Cette volonté de l'autrice de ne pas trancher et de sans arrêt entretenir le doute dans l'esprit du lecteur participe à rendre le récit addictif. le roman de Julia Richard a en effet des allures de véritable page-turner, le lecteur enchaînant les chapitres sans pouvoir s'arrêter tant l'envie de savoir enfin ce qu'il en est de la famille Paternoster est grande. La tension va croissante et la nervosité du lecteur grandit en même temps que celle de l'héroïne, d'autant que la famille a visiblement un appétit prononcé pour les blagues de mauvais goût et semble experte dans l'art de faire accepter à la jeune femme des choses qui lui aurait paru il y a peu totalement inenvisageable. Difficile de ne pas penser au film « Get out » de Jordan Peele tant la similitude entre le contexte et même certaines thématiques saute aux yeux, et l'autrice en a évidemment bien conscience puisqu'elle va même jusqu'à mentionner le long-métrage dans son roman. La matriarche Paternoster est en effet férue de films d'horreur, une passion qui, dans le contexte, n'a rien d'anodin. le seul reproche que l'on peut faire concerne la propension de l'héroïne à sans arrêt trouver des excuses à sa belle-famille et surtout à son compagnon qu'on a du mal à considérer autrement que comme un abruti suffisant et manipulateur. Certains passages sont ainsi très (trop) mièvres et, quand bien même on comprend bien que les séances d'auto-flagellation de la jeune femme au cours desquelles elle relativise la violence de ce qu'elle a vécu relèvent d'un mécanisme d'auto-défense, il n'en demeure pas moins que ces moments ont tendance à devenir répétitifs et lassants.

L'oscillation constante et le flou savamment entretenu sont cela dit loin d'être les seules qualités du roman qui séduit aussi et surtout par son sous-texte politique et social. le message résolument féministe de l'ouvrage saute par exemple immédiatement aux yeux, l'intégralité des épreuves vécues et minimisées par Dana avec son conjoint ou au sein de sa belle-famille témoignant de ce que peuvent endurer les femmes pour se conformer tant bien que mal à ce que la société attend d'elles. L'histoire de Dana nous fait frissonner moins parce qu'elle pourrait impliquer une dose de surnaturel que parce qu'elle se compose d'une succession de mini renoncements qui feront échos chez beaucoup de lectrices et qui, mis bout à bout, amènent l'héroïne à nier ses origines, ses goûts, ses envies et, au final, elle-même. Ce n'est parfois qu'un geste anodin ou une remarque banale, mais l'autrice a le don pour mettre le doigt sur ces comportements ou ces mots qui en disent finalement long sur ce qu'on estime être la place et le rôle d'une femme au sein de la famille aujourd'hui. de part ses origines kabyles, la jeune femme est également victime de plusieurs attaques déguisées relevant du racisme ordinaire comme on peut en rencontrer partout, oui, y compris dans les milieux privilégiés, contrairement à l'idée reçue qui veut que seuls les prolétaires soient racistes. Et on touche là à une autre thématique abordée discrètement mais qui infuse dans tout le texte : celle de la violence de classe. Dana le dit elle-même : « en vérité, ils se moquent certainement que je sois Algérienne, Marocaine, Tunisienne ou que sais-je encore. Ce n'est pas mon origine qui est le problème. Ils seraient les premiers à dire qu'ils ont un bon ami maghrébin. Ce qui les dérange, c'est que je sois une prolo. Je serais une racaille bien blanche, une p'tite cassos appelée Amandine, ça serait pareil. » le malaise de Dana tient ainsi autant aux bizarreries propres à la personnalité et à l'héritage familial des Paternoster qu'à leur habilité à rappeler sans arrêt à la jeune femme qu'elle ne fait pas partie de leur milieu. Elle n'a pas les codes et, si elle veut s'intégrer et faire partie du clan, il va lui falloir se conformer à ces nouvelles règles qu'on lui expose avec une violence d'autant plus horrible qu'elle a aujourd'hui été totalement intégrée et banalisée.

Avec « Paternoster » Julia Richard signe un roman fantastique dans lequel règne une tension qui va croissante et qui permet de maintenir le lecteur en halène jusqu'à la toute dernière ligne. L'autrice se plaît à entretenir le doute dans l'esprit de son personnage qui se débat autant avec ses impressions contradictoires concernant sa belle-famille qu'avec le carcan dans lequel on tente de la faire rentrer. Éminemment féministe et politique, l'ouvrage dénonce les renoncements qu'on inflige et que s'infligent les femmes pour se conformer aux standards d'une société patriarcale, raciste et dans laquelle s'exerce une véritable violence de classe. A la fois terrifiant et fascinant de réalisme.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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