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Critique de Lucilou


Dévoré en à peine une soirée, "Les Collisions" de Joanne Richoux me laissent avec une étrange impression, avec la sensation inconfortable mais captivante de ne pas savoir quels mots ou même quels sentiments poser sur ma lecture. J'ai laissé infuser pourtant... Ai-je aimé, adhéré? Peut-être, oui, mais pas complètement. Ai-je été embarqué? Un peu, mais à mon corps défendant et pas pour les raisons en lesquelles je croyais en ouvrant le roman... "Les Collisions" m'ont bousculée tout en m'agaçant, ont teinté de gris mon moment de lecture quand l'intrigue appelait le noir absolu ou le blanc aveuglant. C'est étrange, flou, brumeux.
Si j'ai plongé la tête baissée dans "Les Collisions", ce n'est pas tant par désir de troquer une fois encore mes lectures d'adulte contre un roman au gout d'adolescence mais plus parce que j'ai été attirée par l'idée d'une réécriture de l'un des classiques que j'idolâtre: "Les Liaisons Dangereuses" (et par ailleurs, vous savez mon penchant pour les réécritures...). Paradoxalement, ce que j'ai préféré dans "Les Collisions" fut son versant adolescent. Quant à son penchant Laclosien, c'est peut-être ce que j'ai trouvé de moins convaincant.

Gabriel et Laetitia sont beaux, félins et attirants. D'aucuns diraient même qu'ils sont dangereux. Septembre est là et la rentrée avec lui, les deux adolescents retournent au lycée, terminale littéraire.
Parce qu'ils se refusent à mettre des mots sur ce qu'ils ressentent vraiment, ils avancent masqués, arrogants et fiers.
Parce qu'ils sont blessés, que leurs vies ont déjà plus de fêlures qu'il n'en faut, le monde qui les entoure leur paraît étriqué, maussade, ennuyeux. Parce qu'ils ont dix-sept ans, ils rêvent d'absolu, de violence, de jusqu'auboutisme, de grandiose.
Et soudain, en cours de littérature, l'idée jaillit, limpide, géniale, séduisante et scandaleuse: ils vont rejouer "Les Liaisons Dangereuses" et tant pis pour les camarades qu'ils vont sacrifier sur l'autel de leur flamme et de leur ennui. Laetitia sera Merteuil et Gabriel jouera Valmont; Dorian figurera Gercourt; Ninon deviendra Cécile tandis qu'à Solal échoit le rôle de Danceny. Ne reste qu'à choisir la présidente de Tourvel. Elle est si jolie la nouvelle professeure d'arts plastiques, si douce et elle s'anime si joliment quand elle évoque et invoque Fragonard...
En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, le pacte est scellé, l'oeuvre De Laclos rebaptisée ("Les Collisions", voilà qui sonne bien! Titre cogneur, titre agresseur pour adolescents incandescents!). L'enjeu reste le même que dans l'oeuvre originelle: Gabriel pourra enfin posséder Laetitia dont les fesses moulées dans le jean le rendent fou et cette dernière osera peut-être enfin ôter son masque...
S'ensuit un terrible jeu de manipulation où éclate toute la perversité des adolescents... Jeu de manipulation, jeu de massacre jusqu'à ce que tout déraille car, comme dans le roman de Choderlos de Laclos, les marionnettistes se font prendre à leur propre jeu. L'amour éclot là où on ne l'attend pas et cette étrange douceur, le camélia qui pousse malgré les épines, rebat les cartes et les redistribue à l'envie.
Jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Jusqu'à l'ultime bouleversement.

L'idée de base est géniale: proposer une réécriture contemporaine des "Liaisons Dangereuses" n'est pas nouvelle et elle est (presque) toujours efficace. L'implanter dans un lycée était un pari risqué, audacieux et s'il fonctionne et est plus réussi ici que dans le délire teenage qu'est "Sex Intentions", il présente une faiblesse qui à mon sens découle du second enjeu du roman. "Les Collisions" se présentent en effet comme une réécriture des "Liaisons Dangereuses" mais pour ne pas tomber sans doute dans l'écueil de la transposition gratuite, il semble que cette réappropriation soit pour Joanne Richoux un moyen de traiter l'adolescence et ses tourments. de fait, elle ne nous épargne rien, ni le suicide et l'anorexie, ni la délinquance et l'alcoolisme, ni les parents démissionnaires et les relations abusives. Il fallait donc croiser ses deux enjeux et le résultat est parfois un peu poussif, un peu artificiel, un peu bâclé. Les conquêtes et leurs retombées m'ont parue trop rapides, trop peu subtiles et certains personnages auraient gagné à un traitement plus profond, plus fouillé, plus complexe (je pense à Amandine notamment!).
Il en va de même pour la partie "adolescence". C'est bien entendu fort louable de vouloir évoquer ces sujets sensibles, délicats mais les ficelles sont un peu grosses, le chemin plus que balisé. C'est dommage!
Ces points négatifs ne sont pas grand chose mais ils suffisent à créer un déséquilibre dans la narration, un petit quelque chose qui m'a gênée... Peut-être était-ce un peu naïf de vouloir parler du drame de l'adolescence à partir d'un canevas certes sulfureux et profond mais très loin, au fond, des préoccupations des personnages...
Personnages dont j'ai trouvé le traitement assez inégal: je parlais d'Amandine plus haut, dont je trouve qu'elle manque de profondeur, mais il en va de même pour Solal par exemple. Quant à Laetitia, je l'ai trouvé monolithique. En revanche, bien sûr que j'ai aimé Gabriel et que je me suis attachée à Ninon. Moins à Dorian qui sonne un peu creux.
Objectivement, cela commence à faire assez de remarques pour justifier d'une mauvaise appréciation du roman. C'est sans compter sur le ressenti qui accompagne parfois certaines lectures marquées par certaines faiblesses...
Parce que oui, malgré ces dernières que je déplore absolument, il y a un moment où j'ai été happée par le roman, alors même que je m'en défendais farouchement.
En cause? L'écriture de Joanne Richoux qui colle à merveille au tempérament de ses personnages. Je l'ai trouvé poétique et intense cette écriture, urgente, fiévreuse, blessante. Une syntaxe pleine de rupture de rythme, riche d'images perçantes, marquantes qui épouse parfaitement la dimension excessive et passionnée des personnages, une écriture qui ressemble aux embrasements adolescent. le tout ou rien, le vivre ou mourir, le pour toujours et à jamais, le feu et la révolte.
L'écriture et la violence parfois crue du propos qui m'a rappelé une certaine forme de romantisme, dans le sens premier du terme et qui en appelle à une certaine forme d'engagement, d'urgence. "Les Collisions" semblent écrites avec les tripes, avec sincérité ce qui d'une certaine manière explique sans doute et excuse les quelques maladresses citées plus haut... Oui c'est excessif, trop sans doute, mais le coup de poignard ressenti était bel et bien là... C'est un signe non?







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