Citations sur Dark eyes (20)
"Des barbelés délimitaient le périmètre, mais c'était surtout la vaste étendue sauvage et désolée qui retenait les hommes prisonniers. Et le fait de savoir qu'ils n'avaient plus leur place ailleurs."
"Quand elle se promenait seule dans Manhattan, elle sentait que la possibilité d'être libre existait. Plus d'une fois, elle s'était imaginée où elle irait si elle descendait au terminus et continuait au-delà."
Klesko s'approcha de la fenêtre de la banque et plaqua sa figure contre la vitre. Son visage n'était plus qu'à quelques centimètres de celui de Wally. Sachant que le moindre mouvement risquait d'attirer l'attention du russe, le groupe ne bougeait plus d'un poil. Wally observa les prunelles anthracites de Klesko.
- Ochee chornya... chuchota-t-telle.
- Quoi ? susurra Ella. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Les yeux noirs, songea Wally sans lui répondre. de la même couleur que les miens.
L'heure de se quitter est arrivée si vite, et qui sait si nous nous reverrons? Mais nos coeurs doivent rester unis, et un jour c'est sûr,nous nous...
Elle sombra dans le sommeil avant la fin de la chanson.
Quelques filles avaient l’air en bonne santé et en possession de leurs moyens. Une fois propres, elles auraient pu passer pour des adolescentes comme les autres, avec une famille, une maison, un avenir, mais la plupart d’entre elles présentaient les stigmates des habitués de la rue. Wally passa la tête sous un sèche-cheveux, se fit une queue-de-cheval, puis s’inspecta dans la glace. Avait-elle encore une chance ou était-elle un cas désespéré ? Son reflet était celui d’une jeune fille de seize ans, en forme et bien nourrie. Elle pouvait encore passer pour une adolescente heureuse et cela la motivait.
Wally resta dans la voiture et soupira quand le train s’ébranla de nouveau. Elle profita du départ de ses amis pour s’étendre davantage sur son siège. Se rendre compte à quel point les autres comptaient sur elle lui pesait, parfois. Quand elle se promenait seule dans Manhattan, elle sentait que la possibilité d’être libre existait. Plus d’une fois, elle s’était imaginé où elle irait si elle descendait au terminus et continuait au-delà.
Wally avait toujours été attirée par les garçons sensibles, intelligents – tout le contraire de Jake. Bâti comme un joueur de football américain, il avait des yeux bleus orageux, bien souvent cachés sous ses mèches blondes en désordre. Il se comparait à Samson, et comme celui-ci perdit sa force quand on lui coupa les cheveux, Jake laissait pousser les siens depuis qu’il avait quitté l’armée, dans l’Ohio. Il continuait à faire des pompes et des exercices physiques quotidiennement. Il portait un blouson en laine violet aux manches en cuir blanc, orné d’un P, qu’il avait acheté un dollar soixante-quinze à l’Armée du Salut.
Wally avait les cheveux blonds, courts, et des pommettes saillantes qui trahissaient ses origines russes. Tout le contraire d’Ella qui avait les traits délicats et de longs cheveux noirs d’Amérasienne. Seules leurs tenues vestimentaires se ressemblaient : des collants déchirés sous des jupes écossaises ou des shorts effilochés, et des hauts superposés qu’elles dénichaient à l’Armée du Salut, à vingt-cinq cents la pièce ou sans payer, selon l’employé qui surveillait la boutique. Quand leurs vêtements devenaient trop sales, elles les jetaient et allaient s’en procurer d’autres au même endroit. C’était moins cher que la lessive.
Les traits défigurés par la douleur, elle se pencha sur le visage tuméfié de la jeune fille et la contempla un long moment, avant de lui caresser la tête en sanglotant.
Une victime ? répéta-t-elle en le sondant du regard, imaginant pour la première fois la cause de la mort de sa fille.