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Critique de Labyrinthiques


C'est une véritable enquête que Marie-Monique Robin mène tout au long de ce livre, un travail de journaliste-fourmi qui farfouille les archives, consulte les journaux, interroge les victimes, consulte les "experts", etc. Tout ceci aboutit sur ce livre-enquête (qui existe également sous forme de film documentaire) qui nous apporte une vision historique, socio-économique, politique et scientifique sur cette firme qui a marqué la face du monde et dont l'histoire est d'ailleurs loin d'être finie. Et le moins qu'on puisse dire c'est que Monsanto n'a pas brillé pas par les bienfaits apportés à l'humanité, quoique l'entreprise en dise sur son site internet. Depuis la dioxine (PCB) aux OGM, en passant par l'agent Orange (les défoliants balancés sur la forêt et les hommes pendant la guerre du Vietnam), le Roundup, l'hormone de croissance bovine, les "inventions" semblent se succéder et affecter toujours plus l'humanité et son environnement.

M.-M. Robin montre qu'à chacune de ses transitions industrielles ((La firme de Saint-Louis, avant de prendre le chemin des produits phytosanitaires et des biotechnologies était spécialisée dans les produits chimiques lourds : PCB, plastiques, polystyrène ; mais à ses début la firme a construit sa fortune en fournissant de la saccharine (un édulcorant synthétique) à ce qui allait devenir la plus grande marque de soda américaine et également en fabriquant des obus pour l'armée américaine)) Monsanto use des mêmes stratagèmes pour s'imposer et monopoliser le marché : procédure de tests incomplète ou falsifiée ((Il faut savoir que la plupart des commissions chargées d'autoriser la commercialisation de nouveaux produits, le font d'après un dossier d'expérimentations et de tests fourni par l'entreprise elle-même : les experts des commissions vérifient surtout si les procédures d'expérimentation respectent un certain schéma épistémologique)), lobbying auprès d'organismes clefs (comme les commissions d'agrément, les ONG, les grands laboratoires "indépendants" mais aussi la presse, les politiques), large stratégie de communication et de marketing, déni et réaction très tardive lorsque de graves problèmes environnementaux ou sanitaires surgissent, mise en dépendance de ses clients (par le jeu des brevets ou de la complémentarité de ses produits : le syndrome du Kid en quelque sorte, le gosse casse les carreaux et le père fait le vitrier, sauf que dans le cas du Kid c'est de la survie d'un foyer dans la misère dont il s'agit !).

Car je trouve que der­rière cette his­toire tapis­sée d'une épaisse couche de dol­lars, on vou­drait nous faire croire que la rédemp­tion existe, qu'on peut se “laver” com­plè­te­ment de ses erreurs (qui ont tout de même conduit à des désastres sani­taires et envi­ron­ne­men­taux, à l'échelle d'un indi­vidu on appel­le­rait cela des crimes) et trou­ver une meilleure voie que celle que l'on a choisi jusqu'ici. C'est vrai­ment l'impression que donne l'histoire de cette société : Mon­santo fabrique et com­mer­cia­lise le PCB (alors qu'elle sait rapi­de­ment les dom­mages que géné­rait cette toxine chez les êtres vivants), son image (son “karma”) se dégrade au fur et à mesure que s'accumulent les pro­cès per­dus et que les dénon­cia­tions des blow-whistlers (les lan­ceurs d'alerte) se font de plus en plus en plus entendre. Qu'à cela ne tienne ! on tourne la page et on change d'activité en lan­çant une ligne de pro­duits phy­to­sa­ni­taires qu'elle dit inof­fen­sifs pour l'homme et l'environnement (rap­pe­lez vous la pub de Rex pour le Roun­dup, cf. au des­sus) alors qu'ils vont se révé­ler hau­te­ment toxiques (et pas du tout bio­dé­gra­dables cf. l'article de wiki­pé­dia pour un aperçu du pro­duit). Elle recom­mence avec l'hormone de crois­sance bovine, pro­met­tant des miracles aux agri­cul­teurs et une pro­duc­tion de lait extra­or­di­naire… Les chep­tels meurent, des agri­cul­teurs font faillites, le lait est qua­si­ment impropre à la consom­ma­tion (ren­de­ment nutri­tion­nel infé­rieur à la nor­male et sur­tout avec des traces de cette hor­mone de crois­sance)… Et hop, on recom­mence en créant des Orga­nismes Géné­ti­que­ment Modi­fiés qui résistent au Roun­dup (la fameuse gamme Roun­dUp Ready) !

Cette société peut-elle avoir du cré­dit de façon illi­mi­tée ? Je veux dire : les auto­ri­tés — cen­sées nous pro­té­ger, nous citoyens — pensent-elles qu'elles peuvent être encore cré­dibles en “blan­chis­sant” des socié­tés dont l'action socio-économique, éthique, écolo­gique est une catas­trophe pour la pla­nète ? Selon les conclu­sions de livre, oui sans doute, hélas.

Car au-delà de l'histoire d'une entre­prise, c'est une his­toire du libé­ra­lisme qui se des­sine dans ces pages. Ce même libé­ra­lisme qui, à l'origine, récla­mait, “la pri­mauté des prin­cipes de liberté et de res­pon­sa­bi­lité indi­vi­duelles sur le pou­voir du sou­ve­rain”. de nos jours le libé­ra­lisme prône tou­jours la liberté (mais quelle liberté !!! celle de créer des pro­duits ren­tables sans en esti­mer les consé­quences ? celle d'être entiè­re­ment lié au bon vou­loir d'une entre­prise pour semer les céréales qui nour­ri­ront le peuple ?) mais semble com­plè­te­ment avoir oublié le terme de res­pon­sa­bi­lité (com­ment une société consti­tuée d'anonymes action­naire pourrait-elle se sen­tir indi­vi­duel­le­ment res­pon­sable ? Pour­quoi se sen­tir res­pon­sable quand on mis en place une cel­lule de ges­tion des risques qui estime que les pro­fits sont supé­rieurs aux pertes même si le pro­duit s'avérait néfaste ?). Ce livre pose beau­coup de ques­tions en fait sur le deve­nir de notre société, sur la trans­for­ma­tion de la notion de pro­grès (oui les tech­no­lo­gies, fussent-elles nou­velles, n'engendrent pas sys­té­ma­ti­que­ment un pro­grès pour l'humanité), sur notre sys­tème de pro­tec­tion vitale (oui nous pour­rions très bien créer les moyens de nous détruire en dehors de l'arsenal nucléaire)…

Pour finir, à la manière d'une sen­tence taoïste, je dirais que celui qui maî­trise un grain de blé maî­trise le monde et que c'est à nous, citoyens, de veiller en per­ma­nence à ce qu'aucune main­mise ne puisse être pos­sible sur cette graine de vie.

Ce livre est indis­pen­sable pour com­prendre les enjeux bio­tech­no­lo­giques mais aussi ceux du libé­ra­lisme. Un livre égale­ment pour ne pas dire qu'on ne savait pas !

A noter qu'en plus du livre il existe un DVD (déjà dif­fusé sur Arte) et que l'action menée par M.-M. Robin a donné nais­sance à un ras­sem­ble­ment citoyens en lutte contre l'entreprise (Com­bat Mon­santo) qui notam­ment informe de l'avancée des débats, lois et autres actua­li­tés sur les biotechnologies.
Lien : http://www.labyrinthiques.ne..
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