Citations sur L'héritière des anges (14)
Ce fut un long baisser, doux, tendre, sensuel.
Elle sentait son coeur palpiter,
se rompre, s'emballer,
tout son corps boullait.
Elle se sentait belle, aimée.
Elle se sentait vivre pleinement.
Elle se sentait grandie, mûrie, femme.
Elle aimait les journées pluvieuses ou neigeuses qui lui permettaient de rester auprès de Manille. Son travail la passionnait, la fascinait. Elle aimait l'odeur du fer, elle aimait cette couleur rouge qu'il prenait sous l'effet du feu, elle aimait cette élasticité que la matière semblait acquérir, sa chaleur, sa dangerosité. Manille taillait, sculptait, modelait à coups de marteau et la cambrure que prenait le fer rougi était impressionnante. On croyait à un combat entre la matière et le maître. Un combat de résistance puis de soumission, un combat sans gagnant ni perdant hormis la beauté de la forme ou la perfection de l'outil. Manille lui apparaissait comme un dompteur, un être exceptionnel.
L'amour transcende tout.
L'amour efface tout.
Les haines les plus profondes.
C'est ça qui est beau,
tu comprends ?
Ils se laissèrent tomber sur le lit
et demeurèrent enlacés toute la nuit,
dans un simple plaisir que de se tenir,
de s'étreindre, de se toucher, d'être l'un contre l'autre.
Eléonore était soulagée.
Enfin un destin de rêves s'offrait à elle.
Qui est -tu ?
Qui est-tu pour me faire cet effet ?
Murmura Bohémon en se détachant d'elle, les yeux brillant de fièvre et de désir.
Éléonore se racla la gorge, frotta ses mains l’une contre l’autre et laissa l’Ave
Maria sortir d’elle. Ce fut comme une libération, un plaisir infini, un bien-être enfin retrouvé. Depuis qu’elle avait intégré l’abbaye, elle n’avait pas encore chanté, même lors des offices. Les novices devaient recevoir une autorisation de la chantre, et peu l’avaient déjà. Elles devaient se contenter de rejoindre les moniales qui occupaient leurs stalles, en arc de cercle, dans le choeur. Les novices se plaçaient sur des bancs en bois situés entre les stalles et le mur du jubé qui coupait l’abbatiale en deux parties : celle réservée aux moniales et aux novices, la seconde étant destinée à accueillir les hôtes et les soeurs converses qui entendaient l’office sans pouvoir regarder les moniales, ni les novices.
- Toutes les nuits, je revis ces terribles journées de la guerre contre les camisards, prononça l'abbé tout bas, comme pour lui-même. Je crois encore sentir l'odeur de mon cheval collé à celui du prieur Flavien, à celui de l'évêque Amaury et à celui du comte de Lesle. La couleur de nos yeux, allumés de violence, enivrés de prières et de certitudes. Nous étions l'armée du roi contre les huguenots, contre cette horde de camisards qui prétendaient faire des Cévennes un pays protestant. Ils avaient brûlé tant d'églises, assassiné tant de prêtres que nous en avons oublié le message chrétien de respect et de fraternité, de tolérance. Eux aussi. Et j'ai fait tout ce que le Christ interdisait : la guerre.
Elle ne connaissait que trop la rigueur de ce paysage, ses longues journées de gel et ses jours de burle. Malgré tout, elle y percevait comme un âme, dans le bruit du vent, discontinu, tempétueux, ou discret. Il était le murmure du ciel, ou ses cris, toujours présent. Ici, les volcans puissants, après avoir soulevé des masses, labouré la terre en des formes vallonnées ou abruptes, projeté des roches éparpillées sur les plateaux, s'étaient tus, s'étaient tassés sur eux-mêmes, las de cracher et de rugir. Ils se laissaient désormais modeler et arrondir par l'âge, par la neige et la pluie, comme des vieillards fatigués, usés, pourtant grands, pourtant beaux.
Éléonore était partie vers la chapelle poussée par une impulsion, un besoin impérieux, un espoir : elle avait envie d'entendre la voix de l'opéra, elle avait la nécessité d'entendre chanter.
J'ai vu trop de femmes gâcher leur vie dans un quelconque manoir, enfermées par le conformisme et leur milieu. Nous avons peut-être été des catins, nous autres Larmoso, mais nos femmes ont été libres et respectées à égalité avec les garçons de notre famille. Reste une Larmoso.