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Critique de PetiteBichette


Bravo ! Waahoooou ! Coup de coeur ! Celui qui dit que la BD est un art mineur n'a pas lu cette BD !
Bon oui, d'accord, j'arrive complètement après la bataille, moyenne de 4,52 sur 428 notes, élu meilleur livre de l'année par le magazine Lire en 2022.
Cet ouvrage, je l'ai emprunté à la médiathèque sans trop y croire, il me tendait ses petits bras avec un joli « Coup de coeur des bibliothécaires » barrant sa couverture.
Malgré tout ça, j'ai quand même hésité au départ tant le graphisme me paraissait sombre, j'irais même jusqu'à dire un peu « sale », tout me paraissait uniformément triste.
Pourtant, très vite cette impression s'est dissipée, au bout de quelques pages, j'étais ferrée, et n'ai fait que deux bouchées en apnée de ce conte majestueux et poignant !
Jamais roman graphique ne m'a paru aussi riche, intelligent, érudit et subtil ! Oui, je sais, je suis décidément tout en nuances après cette lecture si enthousiasmante !
Edouard Roux passe son enfance dans les montagnes du cirque d'Archiane au coeur du Vercors. Il n'est pas toujours facile d'être le fils de la « sorcière », la femme seule qui élève son fils, riche de ses connaissances des plantes et de la faune. D'ailleurs quand le dernier ours est tué en 1898, le fils du gendarme n'hésitera pas à dire à son « camarade » Edouard qu'il est le fils de l'ours.
17 septembre 1916, changement radical de décor dans la Somme, à la suite d'une explosion, Edouard perd toute sa jeunesse, son nez, et une partie de sa bouche, il devient une gueule cassée. de retour de la guerre, il porte en permanence un sac percé de deux trous sur la tête. Il vivote de sa maigre pension qu'il écluse dans les bars quand il apprend l'existence d'une femme, Jeanne Sauvage, qui redonne un visage aux gueules cassées.
J'ai découvert ici un pan de l'histoire fascinant, Jean-Marc Rochette s'est inspiré de la vie de Jane Poupelet qui a fabriqué des masques pour ces hommes au visage fracassé, les photos avant/après visibles sur internet sont incroyables. Grâce à un matériau très souple et un art maîtrisé, ces hommes reprennent forment humaine et un semblant de vie sociale sous les mains de Jeanne. La similitude avec la Jeanne Sauvage de l'histoire ne s'arrête pas en si bon chemin, Jane Poupelet était également une véritable artiste qui maîtrisait la sculpture animalière et réalisait de superbes nus féminins.
Jeanne Sauvage ne va pas uniquement redonner gout à la vie à Edouard, ils vont vivre une magnifique histoire d'amour. Edouard emmènera Jeanne dans son Vercors natal lui faire découvrir la faune sauvage, les superbes paysages de montagne…
L'auteur a mis ses tripes et son âme dans ce récit brut, poignant, qui met en scène majestueusement la nature et ses animaux sauvages. La Terre si longtemps généreuse avec les hommes est massacrée, bafouée, les vies animales prises pour des raisons absurdes. Ainsi, la dernière reine, la magnifique ourse - qui se détache sur la neige en couverture - est tuée pour finir empaillée dans un musée à Grenoble. Car la véritable héroïne de l'histoire, c'est elle, cette ourse, tantôt bien vivante, tantôt fantasmée, dessinée, sculptée, prisonnière, adorée, déifiée…
Le lecteur passe du Paris artistique des années 20 brillamment évoqué, à Grenoble, puis aux forêts et montagnes du Vercors, ces dernières étant les seules à procurer un havre salvateur à Edouard : « Il faut fuir les hommes. Les forêts sont devenues trop petites… pour cacher les ours et ceux qui s'aiment. Ils débusquent et tuent tout ce qui n'obéit pas à leur loi. Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté. Beaucoup trop petites. » (p.89)
Les textes et les dialogues sont superbes, rarement des dessins m'auront donné autant d'émotions.
« Les jours que j'ai passés ici sont les plus beaux de ma vie.
J'aurais tant voulu qu'ils durent l'éternité. Rien de plus, rien de moins. Voir les saisons s'égrainer, regarder et sentir tout ce qui est là, découvert et caché.
J'aurais eu besoin de l'éternité pour apprendre à aimer, pour ne pas me lasser.
Le vent qui irise l'étang, le souffle des pierres, les couleurs. Ce fleuve qui se répand en nous chaque seconde. Et les arbres, les animaux, et toi, mon amour, que je vais quitter.
L'art n'est rien s'il ne force le réel. [...]
Jure-moi qu'on ne m'enterrera pas.
Fais de moi un nuage. » (p.188-189)
Alors même si vous lisez très peu de romans graphiques, je ne peux que vous recommander de choisir celui-ci ! Voilà qui aura au moins le mérite de vous faire passer un moment agréable avant notre fin prochaine, l'auteur prophétisant le temps de ténèbres, après la mort de la dernière reine, et l'avenir ne semble que pouvoir lui donner raison.
Une superbe déclaration d'amour à la nature, à la préservation des espèces, à arrêter le massacre de notre Terre qui nous mène à notre perte. Un message écologique qui touche en plein coeur et suscite le besoin d'être partagé. Un superbe roman graphique qu'on a très envie d'offrir …

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