- Est-ce lui ? Le prince Leopold ?
Nathaniel hocha la tête.
- Vous ne le croirez sans doute pas, mais j'ai eu un faible pour lui, dans le temps. Puis il est parti et s'est laissé pousser la moustache. Ou il a assassiné une gerbille pour se la coller sur le visage. Sur ma vie, je ne saurais dire quelle hypothèse est la bonne.
Quel est l’intérêt de la vie si vous ne croyez en rien ?
La bibliothèque possédait une vie propre, et elle était devenue quelque chose de plus grand que ce que Cornelius avait voulu pour elle. Car les Grandes Bibliothèques ne renfermaient pas des livres ordinaires, mais des grimoires. Un savoir qui avait pris vie. Une sagesse qui possédait une voix. Ils chantaient quand la clarté du firmament tombait par les fenêtres. Ils ressentaient la douleur et la peine. Certains pouvaient se montrer mauvais ou grotesques, mais était-ce différent pour les gens, à l’extérieur des murs de la bibliothèque ? Et cela ne rendait pas pour autant le monde indigne d’être protégé, car là où il y avait des ténèbres, il y avait aussi tellement de lumière.
- Des grimoires, souffla-t-elle, encore plus réjouie qu’elle ne l’avait été par la forêt enchantée.
Nathaniel la considéra avec une expression étrange.
- Vous aimez cet endroit ?
- Bien sûr. Il y a des livres.
- L’inflammation de votre cerveau, mademoiselle Scrivener, explique-t-il patiemment. Il s’agit d’une affection assez courante chez les femmes qui lisent des romans.
Il existe toujours plus d'une façon de considérer le monde. Ceux qui prétendent le contraire veulent nous enfermer à jamais dans les ténèbres.
-Quand je t'ai trouvée sur les marches, poursuivit la directrice, et que je t'ai prise dans mes bras pour te ramener à l'intérieur, j'étais persuadée que tu allais te mettre à pleurer. Au lieu de quoi, tu as regardé autour de toi, et tu as ri. Tu n'étais pas effrayée. A cet instant, j'ai su que je ne pouvais pas t'envoyer à l'orphelinat. Ta place était à la bibliothèque, au milieu des livres.
Son crime était simple : elle avait apporté le thé, et elle n'était pas Silas.
Tous les bibliothécaires vous ressemblent-ils, ou seulement les plus sauvages, ceux élevés par les poux de livres ?
-Certains l’affirmeraient, oui, répondit maîtresse Wick. Mais il existe toujours plus d’une façon de considérer le monde. Ceux qui prétendent le contraire veulent nous enfermer à jamais dans les ténèbres. (p271)