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Critique de berni_29


Chère Marale,
Vous m'avez invité à lire votre premier roman que vous avez auto-publié tout récemment aux Éditions Chapitre et je vous remercie de cette confiance.
Le gourmet,- ou peut-être le gourmand que je suis -, a été sensible aux premières pages de ce récit qui évoque la pâtisserie traditionnelle persane, une manière de faire connaissance avec le pays de votre famille, l'Iran. J'ai aimé cette manière d'entrer dans l'histoire des personnages.
On ne rappellera jamais assez la puissance culturelle de la cuisine. Elle dit beaucoup de choses d'un pays, d'un peuple, de son histoire. Elle est l'héritage vivant de gestes anciens. Si les papilles gustatives furent les premières à être titillées par votre récit, plus tard ce fut le coeur à son tour d'être touché...
Au travers des souvenirs d'une petite fille, Azam, que l'on voit grandir dans l'Iran des années soixante et qui ressemble sans doute trait pour trait à votre maman, vous avez fait don de vos mots à votre famille.
J'ai aimé ces anecdotes qui perlent comme les images sépia d'un album de photos : un théâtre de marionnettes, le magasin pour dames que tient le père d'Azam, la petite soeur rescapée d'une noyade dans un bassin mais qui en restera handicapée, les jeux d'enfants dans la rue, l'oeil borgne de la gouvernante qui intrigue Azam et ses frères au point de se demander si elle ne fut pas pirate dans une autre vie, les odeurs sensuelles qui émanent de la cuisine de la grand-mère, celle-là qui fut promise et offerte à son futur époux alors qu'elle jouait encore à la poupée...
C'est comme un chant de saveurs et de lumières qui traverse l'histoire d'une famille, les années d'enfance d'une petite fille qui grandit, avec les joies et les peines. Une famille aisée certes... le bonheur et l'insouciance étaient sans doute plus facile à vivre sous le régime du Shah d'Iran lorsqu'on était issu d'un milieu favorisé... Il n'empêche que la famille d'Azam était toujours attentive à ceux qui étaient dans le besoin, recueillant ainsi cette pauvre femme Naneh, fuyant sa vie, et qui deviendra gouvernante de la famille durant plusieurs années...
Et puis il y a cette jeune tante, Khaleh Suri, amoureuse de la vie, qui se confie souvent à Azam, qui n'accepte pas le sort réservé aux femmes de son pays et pourtant, on est encore loin des années de plomb... Il est vrai que les mariages arrangés finissaient souvent en violence conjugale... J'ai adoré ce personnage totalement épris de liberté...
Chère Marale, j'ai aimé côtoyer dans vos mots la solidarité des femmes, entre résilience et fatalité, pour aider l'autre à tenir dans un monde fait par les hommes et pour les hommes... Un pas l'un après l'autre comme lorsqu'on apprend à marcher...
Avec pudeur et poésie, ces mots disent l'enfance désinvolte et insouciante qui ne voit pas le monde d'après venir...
D'où vient cette indicible et lancinante douleur de la nostalgie, celle de l'enfance perdue, celle d'un temps où les femmes et les hommes étaient relativement libres ? du moins ils pouvaient s'habiller à l'occidental s'ils le voulaient, penser différemment au sein d'une même famille ou parmi les gens de la rue, ne pas forcément pratiquer la religion avec toujours cette même foi intense, ne pas pratiquer la religion si on ne le voulait pas... La tradition et la modernité se rencontraient sans heurts...
Ces mots disent une période où il faisait bon vivre, sans pour autant absoudre la dureté du régime du Shah d'Iran qui ne laissait guère d'espérance aux couches sociales les plus démunies, où les geôles étaient remplies d'opposants au régime, parfois torturés, parfois exécutés sans procès par la police d'État, la terrible Savak...
Chère Marale, ces mots parlent d'un bonheur qui fut, et pourtant tout est déjà là dans ce récit, tout est là qui se prépare comme une ombre, les années passent et l'Iran inexorablement se prépare à renverser le régime du Shah.
Vos mots effleurent cela, ce temps qui va venir...
Comme il est triste et incompréhensible lorsqu'un enfant de la famille devient moudjahidine, lorsque des jeunes basculent brusquement dans l'absolu, préparant déjà la relève d'un autre monde, le régime des mollahs... Pourquoi ? Comment ne pas l'avoir vu venir ?
Toutes les dictatures se nourrissent d'un terreau fertile...
Vos mots effleurent cela, ce temps qui viendra plus tard, de ces femmes emmurées derrière leur prison de tissus et de fanatisme, où le corps intime devient un exil, une île perdue comme l'enfance à jamais...
Chère Marale, que sont ces vies devenues ? le père, la mère d'Azam, ses frères, sa petite soeur Afsaneh à la perpétuelle innocence... J'imagine que le magasin pour dames n'entrait pas vraiment dans les codes de la féminité tels que les pensaient les mollahs. Connaîtrons-nous un jour la suite de leur histoire sous votre plume, ou vaut-il mieux refermer dès à présent l'album de souvenirs sur les années les plus belles ? Fermer les yeux, imaginer...
Le récit de votre famille s'arrête aux portes d'un autre monde, celui d'après, l'effroi, la barbarie. Plus tard on saura... Je me souviens, je devais avoir dix-sept ans, peut-être l'âge auquel vous avez écrit ce récit... Je voyais à la télévision ces scènes de liesse collective, cette marée humaine qui accueillait à l'aéroport de Téhéran l'Ayatollah Khomeini revenant d'exil de France, comme le sauveur... La suite, on la connaît...
Je pense aux enfants qui sont nés et ont grandi là-bas après ces événements, ne connaissant de l'Iran que le visage d'une dictature religieuse.
Plus tard, il faudrait bien se relever... Un pas l'un après l'autre comme lorsqu'on apprend à marcher...
Chère Marale, il me tarde déjà de lire ce qu'il advint, si toutefois poser de tels mots n'est pas trop douloureux... En attendant, que ce premier roman puisse connaître le succès mérité !

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