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Critique de Sarindar


Natif de Munich, et ayant quitté l'Allemagne avec l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, pour s'installer en France, capturé pendant l'occupation pour fait de résistance, Joseph Rosenthal, qui avait adopté le nom de Joseph Rovan, ne fut pas identifié par les Nazis comme Juif et survécut à son passage par les camps. Il appuya de ses conseils et de ses connaissances de nombreux responsables politiques et hommes d'État français et allemands après la Seconde Guerre mondiale.

Son Histoire de l'Allemagne des origines à nos jours est devenue un classique. Bien qu'écrit de tête, pour une bonne part, au fil de la plume, plutôt que construit page après page à l'aide de références détaillées ou d'une chronologie rigoureusement suivie (encore qu'il y ait bien un ordre dans les dates retenues pour servir le propos de l'ouvrage), cet opus offre le sérieux de quelqu'un qui a appliqué sa réflexion sur les données essentielles de l'histoire allemande et les problématiques qu'elle soulève.
Il écarte bien des thèses antérieures à son travail, que ce soit : sur les origines de la "race germanique" (sérieusement relativisée) ; sur la complexité des relations entre les peuplades germaniques et les Romains dans la période antique (loin des simplifications qui laissaient penser que battus à Teutoburg les Romains en restèrent à établir entre et ces "barbares" une frontière étanche) ; sur le sens unique donné aux événements regardés comme marquants et surinterprétés par d'autres avant lui mais sur lesquels il porte un autre regard (comme par exemple sa façon d'aborder la question de la Querelle des Investitures qui opposa longtemps la Papauté au Saint-Empire romain germanique et qui lui permet de montrer comment les relations entre pouvoirs temporel et spirituel furent souvent un jeu d'équilibre entre recherche de compromis ou affirmation de puissance, avec sous la plume de Rovan beaucoup plus de nuances que chez beaucoup d'historiens) ; sur la primauté du "régionalisme" et des duchés ou autres entités politiques par rapport aux tentatives d'instauration d'un pouvoir centralisé par une autorité impériale aux prérogatives sans cesse contestées en raison du mode électif qui portait sur le trône leurs détenteurs successifs, souvent rivaux et incapables de promouvoir sur une longue durée une succession héréditaire continue comme le feront les rois de France ; sur l'identité culturelle marquée par le mouvement de la Réforme et l'appropriation de la Bible en langue allemande avec Luther ; sur l'influence des individus qui ont dirigé leur État au sein du Saint-Empire ; sur le choc que fut l'intrusion brutale des Français sous la Révolution et l'Empire avec l'irruption de l'esprit national qui conduisit les peuples allemands à envisager de songer enfin à leurs destinées communes ; sur la montée en puissance de la Prusse comme élément "fédérateur", par la force, de toute la sphère germanique ; sur ce qui a conduit à l'aberration du nazisme, qui n'en était pas forcément une si l'on songe qu'une unification à marche forcée ne pouvait se faire que dans la violence totalement libérée, le sentiment de supériorité révélant en creux un complexe d'infériorité dont la compensation par une agressivité sauvage ne pouvait conduire l'Allemagne qu'au bord du chaos et lui faire toucher les limites de sa puissance.
Ces leçons seraient à retenir et à réfléchir à l'heure où l'Allemagne est gagnée, en raison de ses succès économiques et financiers, par la tentation de se croire en position de dominer les autres pays membres de la Communauté européenne et d'imposer sa vision à tous.

Le travail de Joseph Rovan s'arrête bien sûr juste avant, mais on peut penser que si l'auteur avait pu vivre plus longtemps, il l'aurait poussé dans cette direction.

C'est puissant, et s'il n'est pas le fruit d'un effort de recherche, il est surtout un outil pour analyser les enjeux, les contextes et les mouvements de fond qui nous aident à mieux comprendre l'Histoire de l'Allemagne des origines à nos jours.

François Sarindar
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