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Critique de Kirzy


Dès les premières pages, le roman est placé sous le signe de la tragédie grecque, avec ses coïncidences qui font se rencontrer des personnages qui n'auraient jamais dû se croiser et les emportent dans des mouvements les dépassant, en l'occurence ceux impulsés dans le théâtre de la guerre en Syrie.

Bérénice est française, archéologue dévoyée en trafiquante d'antiquités, envoyée à Palmyre pour récupérer quelques oeuvres. Asim est syrien, pompier devenu fossoyeur puis faussaire en passeports en Turquie. Leurs parcours parallèles se déploient jusqu'à leur rencontre accélérée par les péripéties guerrières et de l'avancée de Daesh en Syrie.

Initialement, chacun incarne un stéréotype, occidental ou oriental, que Julie Ruocco va magnifiquement exploser jusqu'à les faire embrasser une même thématique universelle, très puissante, liée au deuil et à la résilience, à la mémoire et à la transmission.

« Un genou à terre, Bérénice gardait la petite dans ses bras. Elle savait à présent, elle savait qu'à l'autre bout de sa vie, son père avait pris cette même décision. Fini de tamiser les sables du temps, elle acceptait tout qui était perdu et ne serait jamais retrouvé, elle acceptait l'oubli et le deuil, le silence et la perte. Elle acceptait de laisser les objets et les corps reposer dans la terre pourvu que l'enfant qu'elle tenait ne s'évapore pas. »

Elle, au départ totalement désabusée, va s'ancrer dans sa propre humanité.

« Une espèce de folie fermentait dans ses veines, se nourrissait de son malaise. Elle commençait la curée par les parties aveugles de son esprit. Ses angoisses, sa peur de l'effacement. Assis dos au mur, Asim essayait de passer en revue tous ceux qu'ils avaient connus et qui n'étaient plus là. Les visages et les souvenirs défilaient . Aussi lumineux et fugaces que les ombres derrière les fenêtres d'un train de nuit ou des vignettes blanches sur les pellicules de cinéma. »

Lui, la candeur même bousculée par le chaos de l'histoire, va s'extraire de la folie née de la perte des siens et de la découverte d'une charnier de Daesh.
Les morts sont intensément présents autour de Bérénice et Asim. Ce dernier a perdu sa soeur, Taym, une ardente activiste qui avait recensé sur une clé USB les atrocités commises par les djihadistes et les suppliciés du régime de Bachar al-Assad. Quel peut être la suite donnée à cette cartographie de l'horreur ?

Ces héros contemporains dépassent les canons antiques. Julie Ruocco utilise très habilement la mythologie comme fil conducteur de son roman, proposant une réécriture très maitrisée de l'Orestie d'Eschyle, avec comme figure titulaire les Furies ou Érinyes, filles de Gaïa et Ouranos, celles qui n'oublient jamais les fautes et qui pourchassent ceux qui enfreignent les lois. Des figures de vengeance.

Sans justice et sans mémoire, nous nous condamnons éternellement. Tout le cheminement romanesque de ces personnages claudiquants, décillés par la guerre, les guide dans un récit initiatique qui les voit évoluer au regard l'un de l'autre. Ou quand les Érinyes abandonnent la vengeance pour devenir les Bienveillantes, gardiennes de la cité d'Athènes. C'est très beau et très fort. Si l'écriture très travaillée de l'auteure peut parfois mettre à distance l'émotion ressentie par le lecteur, elle a la puissance de l'évidence dans des scènes superbes comme celle de la découverte du charnier par Asim ou d'un voile brûlée comme acte libérateur.

Un premier roman vraiment impressionnant de maitrise et de force.

Lu dans le cadre du collectif 68 Premières fois 2022 #1
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