Découvert dans le cadre du Prix des lecteurs des 2 rives organisé par ma médiathèque favorite,
Furies de
Julie Ruocco, a été pour moi une révélation !
Au départ, j'ai cru avoir à faire à une histoire de trafiquants avec cette jeune femme française nommée Bérénice, archéologue dévoyée, vivant maintenant de trafics d'oeuvres d'art historiques. Mais, tout bascule, quand, en mission à la frontière turque, chargée de récupérer et rapporter des parures exhumées des ruines antiques de Palmyre, en Syrie, a lieu sous ses yeux le meurtre de l'intermédiaire chargé de lui remettre les bijoux, avec l'explosion d'une voiture.
Ayant pu contacter sa galeriste polonaise, celle-ci lui dit de rentrer au plus vite, en allant trouver un de ses contacts, une humanitaire suisse qui travaille dans le camp de réfugiés d'Öncüpinar et qui l'aidera pour le retour.
Bérénice reviendra de son voyage aux frontières du camp avec son sac de bijoux sous un bras et une petite réfugiée sans nom dans l'autre, prête à tout donner aux douaniers pour pouvoir rentrer avec l'enfant.
Ensuite, nous faisons connaissance avec Asim, jeune syrien, qui ne sait plus très bien comment, de pompier, il est devenu fossoyeur. « Sa seule certitude était que le sol déborderait bientôt et que si ça continuait, ils marcheraient sur un fumier de corps où plus personne ne pourrait distinguer le bourreau de la victime, le lâche du courageux ».
Poussé par l'avènement de l'État islamique, profondément meurtri - le sang s‘était retiré de ses veines lorsqu'il avait découvert dans un charnier, le corps de sa soeur Taym décapité, cette soeur qui s'était tant investie pour que la vérité éclate - il s'exile en Turquie. Il trouve un petit espoir en fabricant des faux passeports et en donnant aux survivants, les noms des morts enterrés dans son pays, tentant ainsi de leur donner une nouvelle vie. La grandeur de sa tâche est à la mesure de sa folie, celle de maintenir une mémoire vive, au moment même de son effondrement.
Avant de poursuivre, il m'est impossible de ne pas évoquer ce passage ô combien terrible et bouleversant, où la tante d'Asim prépare les corps de son fils et de la soeur d'Asim avant qu'ils ne soient enterrés. Ne voulant pas que sa nièce soit inhumée sans tête, elle va, avec délicatesse et maintes précautions, se servir d'une pierre ronde pour reconstruire son visage, puis le remodeler dans les plis du tissu…
Quant à Bérénice, elle doit se dépêcher de trouver un bon faussaire pour les papiers de la petite, bien résolue à ne pas partir sans elle. Elle est alors mise sur la piste du « pompier syrien ». Sa recherche la mène « en périphérie de la ville frontalière, dans les quartiers de la « petite Syrie ». C'est là que les familles qui fuyaient la guerre civile puis l'État islamique avaient trouvé refuge. En quelques années, Kilis avait ainsi vu sa population doubler.
À travers ces deux trajectoires qui vont se croiser et s'unir, c'est l'histoire tout entière de ce conflit syrien que couvre ce roman, un témoignage absolument ahurissant d'une période qui couvre dix ans, s'ouvrant en 2011, par le tellement prometteur printemps arabe.
L'élan de ce peuple qui se lève, qui a cru dans sa révolution, puis, les événements s'emballent… La répression par le régime de Bachar el-Assad, la guerre civile, l'émergence de l'Islamisme radical, des exactions innommables, l'indifférence puis l'ingérence internationale, l'afflux des djihadistes venus d'Europe, dont de nombreux français. C'est l'horreur absolue avec ces violences, ces exécutions, ces tortures, ces disparitions entraînant l'exil, les camps de réfugiés, les brigades féminines de la résistance kurde assoiffées de liberté et de démocratie.
Furies est comme un combat que
Julie Ruocco, au travers de ses héros, mène contre l'oubli.
Comment se fait-il que l'homme n'ait pas appris et n'ait pas tiré de leçons des horreurs du passé ?
En oubliant les crimes, on oublie les victimes et cette question centrale du roman sera l'obsession de nos protagonistes et la direction de leurs engagements.
En intitulant son roman
Furies, du nom de ces divinités romaines correspondant aux Érinyes grecques, déesses de la vengeance, parcourant la surface de la terre en pourchassant sans relâche les criminels, considérées également comme protectrices des droits des membres de la famille,
Julie Ruocco rend un superbe et puissant hommage à ces femmes qui ont fait les révolutions arabes et à leur quête de justice. L'auteure exprime également l'aspiration à une justice qui se servirait de la mémoire comme d'une sorte de remède pour éviter justement ces vengeances stériles uniquement pourvoyeuses de barbaries.
Furies de
Julie Ruocco est un premier roman poignant, fort et sensible, sur le devoir de mémoire, dont je suis sortie abasourdie et impressionnée.
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