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Critique de Katsika




Ce que je retiens de la deuxième lecture de ce roman c'est à la fois sa richesse et sa puissance. Sa richesse documentaire est évidente : l'action se déroule essentiellement en Mandchourie, les personnages sont chinois pour la plupart, quelques-uns japonais. Elle se déroule au cours du conflit sino-japonais des années 1930, autant d'occasions de découvrir des pays, des traditions, des événements peu connus. Les deux civilisations que sous nos latitudes, on a tendance à assimiler dans une confuse notion « d'Extrême Orient » ou « d'Asie » se dévoilent dans toutes leurs différences et dans tous leurs antagonismes : le mépris des Japonais pour les Chinois, la haine des Chinois pour les Japonais qui se targuent de leur supériorité mais qui montrent aussi dans leurs visées impérialistes une cruauté hors du commun. La richesse de la langue, métaphorique et poétique tant par les noms : Place des Mille Vents, Perle de Lune, Orchidée, que par les évocations des paysages (cf. p. 270 le passage où l'héroïne dort sous la protection de l'Inconnu), donne le ton. L'univers mis en place est un mélange contrasté de raffinement et de barbarie.
La puissance du roman, quant à elle, tient d'abord à sa construction. On comprend vite que les chapitres expriment alternativement la parole des deux personnages principaux : une jeune fille chinoise, rebelle à l'ordre établi et remarquable joueuse de go et un tout jeune soldat japonais prêt à mourir pour sa patrie. Rien n'aurait jamais dû les réunir. Et leurs histoires sont d'abord parfaitement distinctes pendant 44 chapitres. Les deux suivants, qui constituent le parfait milieu du roman, font le récit de leur rencontre successivement selon le point de chacun, l'autre n'étant que « l'Inconnu » et « la Chinoise ». La deuxième partie dès qu'ils s'affrontent régulièrement au go semble se dérouler comme une partie du jeu lui-même, chacun cherchant à dominer et à encercler l'adversaire. Tous les deux occupent donc exactement la même place dans le roman et on peut s'interroger sur le choix du titre qui donne la préséance à la jeune fille. Quand ils se rencontrent, le lecteur, lui, (même s'il est tenu à distance : ainsi ne sait-on jamais le prénom de « L'Inconnu » et découvre -t-on celui de « La Chinoise » qu'à la toute fin du roman par exemple) a eu tout le loisir d'apprendre à les connaître. Ainsi la jeune fille affirme-t-elle une farouche volonté d'émancipation qui passe par, outre son immense talent au go qui en fait l'égale des hommes, l'instruction et le refus du mariage mais aussi une indifférence certaine aux autres, à ses parents mais surtout aux deux jeunes gens qui sont amoureux d'elle Min et Jing, même si elle est satisfaite de découvrir la sexualité avec le premier et qu'elle consent de partir pour Pékin avec Jing – mais a-t-elle alors vraiment le choix ? -. Elle repousse les gens dès qu'ils ne se conforment pas à son projet de vie sans autre considération. Ainsi procède -t-elle avec son amie Huong. Mais elle assume aussi les conséquences de ses choix avec un grand courage, lors de l'épisode de sa grossesse et de son avortement en particulier. le personnage est hors du commun, totalement impliqué dans ses choix, mais peu sympathique. le jeune Japonais, « l'Inconnu », lui, ne se pense qu'en soldat, dont le destin est de mourir dans la dignité et dans l'honneur. Il n'envisage jamais sa vie autrement qu'au service de l'armée, ne s'imagine aucun avenir et se contente de fréquenter des prostituées car cela n'implique aucun engagement. Ses réflexions portent donc sur deux sujets : l'armée, la prostitution et les rapport entre les deux, tandis que de son côté « la Chinoise » interroge sa soeur : « Comment sait-on si l'on est amoureuse ? ». Mais au fur et à mesure que les deux personnages s'affrontent de part et d'autre du damier et de ce fait se rapprochent, leurs deux pays s'enfoncent dans la guerre dont l'atrocité est soulignée par le sort réservé à Min et Tang et qui réduit peu après la jeune fille farouche en proie. Alors lui « l'Inconnu » qui cesse de l'être au dernier moment, la protège de la soldatesque, de la seule façon possible. Ce faisant il la sauve de la souffrance et de l'humiliation mais trahit son pays et renonce à sa raison de vivre, son honneur.
La scène finale est la réalisation d'un destin implacable, lui trahit son pays et elle ne peut se sauver seule. Elle est aussi belle que désespérée et enrichit le sens de tout ce qui précède.
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