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Critique de Quarto


Quarto
11 décembre 2023
Où suis-je, où vais-je, dans quel état Saer ?

Si je n'avais pris l'habitude de rendre compte ici de mes lectures, pour peu que j'imagine avoir quelque chose d'un peu original à en dire, pour être franc, j'aurais laissé tomber L'enquête.

À la différence du style éblouissant de L'ancêtre, les longues phrases ne s'écoulent pas, elles charroient, méthodiquement, laborieusement, comme pour épuiser le sens et s'épuiser elles-mêmes. Elles dessinent le personnage d'un policier, personnage de papier qui n'a pas plus l'étoffe du réel que l'enquête sur les horribles assassinats de « petites vieilles » perpétrés à Paris par une « ombre inhumaine » surnommée le « monstre de la Bastille ». Et au détour d'une phrase (si ce n'est au milieu), on passe à trois argentins, dont un (Pigeon, le jumeau de Chat, parait-il disparu), de retour de Paris, les trois réunis par un texte, le dactylogramme détenu par la fille d'un quatrième, décédé. Les deux récits sont juxtaposés puis s'articulent. Des deux l'un paraît mener l'autre.

Vous me suivez ? Je peine mais je résiste. Et comme l'alpiniste sur un à-pic aux prises incertaines, je m'accroche et de l'effort vient le plaisir. Je suis pris par la charade, l'énigme littéraire proposée par Juan José Saer, par sa « prosodie énigmatique ».

D'un côté des policiers, de l'autre des exégètes, mais c'est moi qui enquête : quel est le mystérieux objet du dé-lire ?

« Comme chez tout enquêteur véritable, quel que soit le champ auquel il l'appliquait, la passion de la vérité dominait en lui le bouillonnement des autres passions, mises en sommeil par l'urgence impassible de savoir. »

Je relève des indices, je fais des hypothèses. Pas de quoi instruire un procès, juste assez pour nourrir mon témoignage — pensais-je.
Je prends des notes pour me retrouver dans ce jeu de piste, de signes et de simulacres, qui recouvrent le réel si tant est que…

« Quoi qu'il se passe, si tant est qu'il se passe encore quelque chose dans ce qu'on appelait autrefois le monde réel, il suffit de savoir ce qui doit être dit sur le plan artificiel des représentations pour que chacun se trouve plus ou moins satisfait, avec l'impression d'avoir participé aux délibérations qui modifieraient le cours des événements. »

Je le prends pour moi, ce n'est pas très encourageant...

Une histoire de vérité, de fiction, de glissements de l'une à l'autre, de noeud inextricable, qui part en confettis, flocons, papillons blancs...
Jeux de dupes, de doubles, de dédoublement, de redoublement, de retournement, et peut-être aussi jeu dialectique, les deux récits en esquissant un troisième, « Sous les tentes grecques », qui pourrait être à la fin de L'Iliade avant qu'un Cheval de Troie ne pénètre et fasse chuter la cité. Deux soldats montent la garde. « Le Vieux Soldat détient la vérité de l'expérience et le Jeune Soldat la vérité de la fiction. » Jamais identiques, de natures différentes, pas forcément contradictoires.

À la longue, j'espère relier les fils, mais j'arrive à la fin. À ce qui ressemble à la fin : je n'ai plus de page à tourner. le meurtrier est dévoilé, ou pas. C'est selon. de toute façon je m'en fiche, je sais bien que ce n'est pas important, en tout cas pas intéressant.

Alors quoi ? Les labyrinthes ont un principe : pour s'en échapper, on cherche un sens refusé tant qu'on est dedans, condamné à l'errance ; le sens ne se livre qu'une fois sorti, en surplomb.

Je cherche encore.
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