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Critique de Aquilon62


Adam et Ève symbolisent le pouvoir étrange et durable de l'art de la narration.

Pour des raisons à la fois captivantes et insaisissables, ces quelques versets d'un vieux livre sont un miroir où nous semblons apercevoir la longue histoire de nos peurs et de nos désirs. Ce récit, simultanément destructeur et libérateur, est un hymne à la responsabilité de l'homme et une fable funeste sur la misère humaine, une célébration de l'audace et une incitation à la mysoginie la plus violente.

Pourtant ce ne sont que quelques lignes environ une soixantaine (les voici)
" Yahvé Dieu dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie. » Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages sages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné. L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fit assortie. Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place.

Puis, de la côte qu'Il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme et l'amena à l'homme.
Alors celui-ci s'écria :

« Pour le coup, c'est l'os de mes os
et la chair de ma chair !
Celle-ci sera appelée "femme",
car elle fut tirée de l'homme, celle-ci ! »

C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair.
Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre.

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas tous les arbres du jardin ? » La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort. » le serpent répliqua à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea. Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus ; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.

Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour, et l'homme et sa femme se cachèrent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin. Yahvé Dieu appela l'homme : « Où es-tu ? » dit-il, « J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme ; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché. » Il reprit : « Et qui t'a appris que tu étais nu ? Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ! » L'homme répondit : « C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de et j'ai mangé ! » Yahvé Dieu dit à la femme : « Qu'as-tu fait là ? » Et la femme répondit : « C'est le serpent qui m'a séduite et j'ai mangé ! »

Alors Yahvé Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux
et toutes les bêtes sauvages.
Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.
Je mettrai une hostilité entre toi et la femme,
entre ton lignage et le sien.
Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon. »

À la femme, il dit :
« Je multiplierai les peines de tes grossesses,
dans la peine tu enfanteras des fils.
Ta convoitise te poussera vers ton mari
et lui dominera sur toi. »
À l'homme, il dit : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi !
À force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie.
Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs.
À la sueur de ton visage
tu mangeras ton pain,
jusqu'à ce que tu retournes au sol,
puisque tu en fus tiré.
Car tu es glaise
et tu retourneras à la glaise. »
L'homme appela sa femme « Ève », parce qu'elle fut la mère de tous les vivants. Yahvé Dieu fit à l'homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit. Puis Yahvé Dieu dit : « Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu'il n'étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours » Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Éden pour cultiver le sol d'où il avait été tiré. Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie."

Et voilà que dans ces quelques lignes, au final figurent très peu de choses de ce qui est rentré dans l'imaginaire collectif : la pomme, la faute, et ensuite "la réalisation" des menaces
Peu de récits dans l'histoire de l'humanité ont connu une telle longévité et une si large renommée. Peu ont acquis une réalité aussi prégnante et ensorcelante.
Pendant des siècles, des croyants, hommes et femmes, ont lutté pour honorer une proposition théologique et tenter de traiter ce récit de l'homme et de la femme nus et du serpent doué de parole comme le compte rendu exact des événements qui ont initié la vie telle que nous la connaissons. Des philosophes, des théologiens, des prêtres, des moines et des visionnaires ainsi que des poètes et des artistes, tous ont contribué à ce gigantesque effort collectif. Mais ce n'est qu'à la Renaissance – à l'époque de Dürer, de Michel-Ange et de Milton – que de nouvelles techniques de représentation sont finalement parvenues à conférer aux premiers êtres humains un sentiment de réalité convaincant et à rendre leur histoire vivante.
Les oeuvres d'art, magnifiquement reproduites comme dans chaque volume de cette collection, en sont les témoignages.

Et grâce à l'écriture de l'auteure on découvre une Ève vivante qui a la parole, qui se raconte, se livre.
C'est découvrir :
Une femme curieuse, capable de faire ses choix, et de les assumer.
Une femme qui ose désobéir à la loi parce qu'elle a soif de connaissances.
Une femme pleine de vie qui brave l'autorité pour mieux s'épanouir .
Une femme qui se veut libre.
Une femme qui se veut femme auprès d'Adam.
Une femme mère.
Une femme qui affronte les souffrances.

L'histoire d'Adam et Ève finalement parle à chacun d'entre nous. Elle traite de qui nous sommes, d'où nous venons, de pourquoi nous aimons et de pourquoi nous souffrons. Son immense portée semble inscrite dans sa structure même. Même si ce texte est l'une des pierres fondatrices de trois grandes religions du monde, il précède, ou affirme précéder, toute religion singulière. Il saisit l'étrange façon dont notre espèce considère le travail, la sexualité et la mort – des caractéristiques de l'existence que nous partageons avec tous les autres animaux – et en fait des objets de réflexion, comme si ces caractéristiques dépendaient de quelque chose que nous aurions fait, comme si tout aurait pu être différent.

Il existe dans la langue française une expression, certes surannée, qui nous dit " remettre l'église au centre du village"...
Alors merci à Christine Sagnier d'avoir remis l'arbre de la connaissance au centre du jardin d'Eden....
Et d'avoir écrit cette "autobiographie" qui se termine dans des mots aussi magnifiques que ceux par lesquels elle débute :
"Aujourd'hui, je vais rejoindre Abel. Adam m'a devancée. Bientôt, je ne serai plus que poussière parmi la poussière, mais je vous le dis à vous tous, innombrables enfants d'Adam, aimez la Vie, malgré la violence et les souffrances qu'elle sous-tend, chérissez-la jusqu'à votre dernier souffle, car si la douleur s'émousse, le bonheur, lui, demeure toujours aussi ardent."
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