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Critique de HundredDreams


« Elle est l'art, sa figure incarnée. Ils la miment, la copient, l'adulent ou la détestent. Ils n'en détournent jamais le regard. »

Vous êtes peut-être déjà allés au Louvre et avez fait queue pour voir La Joconde ?
Comme beaucoup, j'ai suivi la file des visiteurs, piétinant pendant de longues minutes au milieu de l'agitation, des bousculades, des incivilités, du bruit, des appareils photos et des téléphones portables jusqu'à me retrouver à plusieurs mètres du tableau.
Là, j'ai pu prendre une photo et contempler le chef d'oeuvre de Léonard de Vinci quelques instants jusqu'à ce que des gardiens et la foule pressante me poussent vers la sortie.

Le Louvre est, dit-on, le plus beau musée du monde. Il est somptueux, je le reconnais, mais quelle déception ! Comment savourer ce moment où le regard souriant de Mona Lisa se pose sur vous ? le visiteur n'a qu'un désir, celui d'échapper à cette foule bourdonnante et de trouver une salle moins fréquentée et plus tranquille.
Heureusement, Le Louvre abrite une quantité incroyable de chefs d'oeuvre disséminés de part et d'autre du musée. Il est alors possible de s'arrêter quelques minutes, s'asseoir, prendre le temps de s'attarder sur une oeuvre.

Imaginez donc mon plaisir pendant ces cinq jours de lecture : Paul Saint Bris m'a guidée dans les coulisses de ce musée immense. Je me suis approchée de la jeune Florentine jusqu'à presque la toucher pour étudier les détails de sa composition. J'ai observé à loisir, dans le calme et le silence, son doux visage, son sourire énigmatique, la délicatesse des couleurs et des dégradés de son teint, les traces du temps sur ses traits.

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Dans ce roman, le temps joue en rôle majeur. Afin de redynamiser Le Louvre et attirer davantage de visiteurs, il est décidé de restaurer la star du musée, la Joconde.

En effet, le tableau a été recouvert de plusieurs couches de vernis qui, avec le temps, se sont oxydés, déposant un filtre de couleur jaune verdâtre et l'opacifiant progressivement. Pour lui redonner son éclat et sa luminosité, raviver ses couleurs d'origine, révéler les détails que la pénombre cache, il faut dissoudre les vernis sans toucher aux glacis en dessous.

Les avis sont, comme vous pouvez l'imaginez, partagés.
« Qu'est-ce qui vous en empêche ? La difficulté technique ? Je ne crois pas que ce soit un problème aujourd'hui. Sans doute craignez-vous que toucher au symbole de l'art occidental entraîne des répercussions planétaires ? Pourtant, c'est exactement ce que vous devriez faire. »

Evidemment, le lecteur se positionne dans ce débat. Je me suis demandée de quel côté je me placerais, mais la réponse est évidente. Je l'aime telle qu'elle est, avec ses craquelures, avec la patine du temps, avec ce voile qui la rend si fascinante et mystérieuse.

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Aurélien, le directeur du département des Peintures du Louvre, choisit Gaetano Casini, un restaurateur florentin expérimenté, talentueux, capable de supporter la pression. Mais l'allègement des vernis comporte des risques, celui d'altérer de façon irréversible le chef d'oeuvre du maître de la Renaissance.

« Pour les oeuvres comme pour les êtres, remonter le temps était une quête vaine et forcément décevante, Aurélien en était convaincu. Sa mission à lui était de conserver, de prendre soin des oeuvres, de les chérir, de faire peser sur elles le moins d'aléas possible. »

Commence alors une intrigue captivante et inattendue où le lecteur côtoie une galerie de personnages attachants de part leurs rêves, leurs peurs, leurs failles et leurs erreurs. Ils sont particulièrement bien dépeints, leur caractère finement analysé : Aurélien, qui doit mener à bien la restauration du tableau malgré lui, est un homme plutôt discret et sensible, nostalgique, attaché au passé ; le restaurateur Gaetano est tout son contraire, un artiste haut en couleur, fantasque et imprévisible ; Homero, un technicien de surface qui a une façon très originale de faire le ménage au milieu des antiquités du musée ; et la nouvelle directrice du Louvre, entreprenante et audacieuse.

Avec un style très agréable, instructif, vif, rythmé par des chapitres courts, Paul Saint Bris fait le récit de destins qui se croisent, se frôlent, s'entrelacent et se décroisent dans une atmosphère qui se charge d'une tension croissante au fur et à mesure que Mona Lisa se dévoile.

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Cette histoire est l'occasion de réfléchir à des thèmes relatifs à l'art et l'histoire de la peinture : l'esthétique, l'intemporalité et le sens d'une oeuvre, mais aussi la place de l'artiste et du restaurateur. Face à la Joconde, Gaetano va mettre en regard le génie du maître italien et son art, son habileté, sa sensibilité, en allégeant l'oeuvre de plusieurs couches de vernis tout en gardant son charme et son authenticité.

Paul Saint Bris développe également le thème de l'ascendant du marketing et de l'image dans les musées. L'art s'est transformé en véritable industrie : les musées ont en effet pour ambition de rendre accessible l'art à tous, ce qui est louable, mais la démocratisation culturelle s'est accompagné également d'une politique mercantile visant à attirer toujours plus de visiteurs et à faire du chiffre d'affaire.

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Prix Orange du livre 2023 qui récompense les nouveaux talents de la littérature, « L'allègement du vernis » est plus qu'une restauration de la Joconde, c'est aussi un roman qui porte un regard acéré et satirique sur notre monde contemporain.
Un très bon premier roman à découvrir.
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