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Critique de SophieChalandre


Saint-Evremond, c'est d'abord une superbe prose aphoristique, élégante et nerveuse qui, à l'image de son auteur, sait aller à l'essentiel, mais aussi user du sarcasme et du trait d'esprit. Une façon d'être au monde, dans la lignée de Montaigne, sur le ton de la conversation (Saint-Evremond incarne l'art si français de la conversation autrement dit l'art de plaire pour imposer sa pensée).
Désinvolte, Saint-Evremond n'a pas eu grand souci de son oeuvre puisque, pour ce moraliste de la seconde moitié du 17ème siècle, vivre semblait plus primordial que philosopher. Ses écrits brefs très nombreux et diversifiés ont circulé de façon manuscrite, puisqu'aucun ne fut publié de son vivant.
Sa pensée présente cependant une grande cohérence. Il s'en dégage une réflexion morale assortie d'une pensée littéraire, musicale, métaphysique, politique et historique, souvent psychologisante.
Saint-Evremond est un libertin érudit, à la fois homme de plume et d'épée, duelliste doué (il existe une botte Saint-Evremond), militaire, écrivain, philosophe, moraliste, historien, mondain, diplomate, musicien… Noble et haut fonctionnaire, il respectera les exigences de ses fonctions et de sa classe. Saint-Evremond est en fait un penseur de la nouvelle aristocratie, celle de la synthèse des savoirs humanistes des collèges et de la formation traditionnelle académique. D'ailleurs, s'il prend part à la querelle des Anciens contre les Modernes, c'est avec la volonté d'arbitrer, espérant que de ce débat émanent une émulation et une émancipation intellectuelles.


La philosophie de Saint-Evremond fixe un idéal, celui de l'honnête homme – déjà initié à la renaissance italienne, ou prime l'importance du "bon jugement" et du bon sens. Homme de méditation et de réflexion, éloigné de tout esprit d'école, admirateur de Montaigne et de Cervantes, il n'hésite pas à s'affranchir d'un humanisme trop académique des cercles intellectuels de son époque. Il théorise une morale noble de l'honnêteté mondaine niant toute obéissance servile, mais propose également de tendre vers la construction d'un homme épris d'autonomie intellectuelle qui doit mettre à l'épreuve les artifices du religieux.
Initiateur de la philosophie moraliste, théoricien consensuel, précurseur des Lumières et catholique fidéiste, Saint-Evremond, parfois sceptique, adopte une position très subtile du juste milieu entre les certitudes de la raison et les vérités de la foi, avançant l'idée d'une religion tolérante et raisonnable. "La vraie dévotion est raisonnable et bienfaisante : plus elle nous attache à Dieu, plus elle nous porte à bien vivre avec les hommes ». Cependant, sa philosophie amorce cette question : Dieu est-il cause extérieure ou intérieure au monde ? (et Spinoza qu'il a rencontré à la Haye répondra de manière panthéiste). Au fond, sa philosophie pose les jalons de la question de la religion naturelle qui prendra corps au 18ème siècle.


A la recherche d'une éthique alternative à la morale chrétienne (sainteté), sa proposition morale, incarnée, est une éthique aristocrate immanente, basée sur une culture classique. Epicurienne, cette morale est plaisir de soi-même et du monde ; plaisir mesuré mais diversifié, fruit d'un juste équilibre, "Le mot de Volupté me rappelle Épicure ; et je confesse que, de toutes les opinions des philosophes, touchant le souverain bien, il n'y en a point qui me paraisse si raisonnable que la sienne". Saint-Evremond repense Epicure à l'aune de son siècle : exigence avec soi-même et tolérance avec autrui, cette sagesse menant selon lui à une tranquillité d'esprit. "A juger sainement les choses, la sagesse consiste plus à nous faire vivre tranquillement qu'à nous faire mourir avec constance".


Et puis surtout, je concède à Saint-Evremond un panache certain quand il pense : philosopher et y prendre du plaisir, de la volupté intellectuelle même. Et ceci fut propre aux libertins érudits d'un 17ème siècle non contaminé par la rigueur de l'énoncé à la manière kantienne, d'une pure aridité logique et qui normera la façon d'écrire en philosophe sérieux pour les siècles suivants. "A quatre-vingt-huit ans, je mange des huîtres tous les matins ; je dîne bien ; je ne soupe pas mal : on fait des héros pour un moindre mérite que le mien". … Décidément, j'aime follement ce grand petit mondain.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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