AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Levant


Pour avoir vécu plus d'un an au cours de deux séjours à Sarajevo en 1993 et 1996, j'ai opté pour cet ouvrage proposé par Masse critique. Beaucoup de noms m'ont fait revivre des souvenirs d'une expérience ô combien prégnante, pleine d'enseignements sur la nature humaine.
Déjà à cette époque, en seulement trois ans d'écart, j'avais pu observer l'évolution du fondamentalisme musulman et constater l'étau se resserrer sur le pays.

Actualité brûlante en 2015 que le thème développé par Portrait de Balthazar de Jasna Samic.

Dans la Bosnie, au lendemain de la guerre qui a fait imploser la fédération yougoslave, Livia, une Bosniaque exilée en France, revient en son pays. Elle y retrouve certes une Bosnie réduite à la portion congrue, mais surtout une conséquence qu'elle n'avait pas voulu envisager : l'emprise des islamistes sur son pays.

Avant les années tragiques, la Bosnie était connue pour être un modèle de coexistence pacifique des religions et des cultures. La chape de plomb communiste avait eu au moins l'avantage d'étouffer dans l'oeuf les velléités de domination de l'une ou l'autre des grandes religions monothéistes. Quelques années de guerre plus tard, le fondamentalisme musulman prospère dans les eaux troubles de la corruption, la débauche, la dérive des mentalités et les séquelles psychologiques des drames qui n'ont pas manqué.

Livia est une artiste, ou tente de l'être. Sans être nymphomane, elle est habitée par un désir charnel gourmand, c'est une personne instable qui cumule les aventures, les séparations et les réconciliations. Son statut d'exilée lui avait donné le recul et l'information suffisants pour être avertie des manifestations de l'intégrisme. Et pourtant.

Pourtant elle va tomber sous le charme de celui qu'on ne connaîtra jamais que sous la désignation de Jeune homme, chez qui elle diagnostique parfaitement l'emprise de l'islam dévoyé, mais pour qui elle ira cependant jusqu'à se glisser dans le statut de la femme inférieure.
Quand la passion anéantit la raison.

Cet ouvrage au langage parfois cru dépeint fort bien le climat de ce pays au lendemain des années terribles. Les plaies sont encore vives. On y perçoit pêle-mêle en quelques allusions la haine du Serbe, la manipulation des médias, le désenchantement, les rancoeurs envers les grandes puissances de ce monde et même aussi quelques traces de nostalgie pour l'ancien régime communiste. N'avait-il pas garanti la paix.

Mais ce pays martyr se relèvera d'autant plus difficilement du cauchemar de la guerre que l'obscurantisme prolongera son emprise.

On a malgré tout du mal à s'attacher au personnage de cette femme artiste de retour en son pays. Elle n'offre pas beaucoup de qualités à nos yeux. C'est la femme de tous les abandons. L'abandon de son pays pendant les années difficiles, de ses enfants laissés à deux pères différents, de ses convictions défaites par la seule grâce d'un visage adulé, le portrait de Balthazar ? C'est une femme dominée par ses passions pour qui le sexe est salutaire et qui semble ne s'attacher ni aux êtres ni aux choses. En quête perpétuelle d'ailleurs elle souffre d'une grande frustration. Guidée par ses pulsions elle se laissera envouter par un visage aux yeux clairs, fût-il celui de la perdition.

La description de la main mise du fanatisme islamique sur ce pays nous alarme, s'il n'était déjà trop tard, sur le péril qui guette notre propre pays. Au lendemain des événements tragiques qu'il a connus, voilà de quoi susciter la vigilance.

C'est certainement plus le sujet abordé que le style quelque peu déstabilisant qui a valu à cet ouvrage d'être primé par nos amis Belges. Mais peut-être est-ce l'effet recherché. Il n'a pas fait partie de ces livres qui m'ont fait presser le pas pour les rouvrir à la page marquée. La crainte sans doute d'y retrouver une actualité dérangeante, des personnages peu avenants, voire alarmants. Qui a dit que les deux grands périls du XXIème siècle seraient le fondamentalisme islamique et la drogue était visionnaire. Ce livre, sans être passionnant, ne laisse quand même pas indemne. Il faut se nourrir de son amertume pour rester mobilisé.
Son dénouement est bien amené, car logique sans être prévisible.

Je suis Charlie serait-on tenté de clamer pour coller à notre actualité en refermant cet ouvrage. Mais pour combien de temps ? La mémoire est courte dans le confort de nos sociétés occidentales modernes. La paix est toujours plus difficile à gagner que la guerre, et surtout à conserver.
La paix c'est comme la santé, c'est un équilibre trop fragile que l'homme se plait à malmener.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}