Les amis de mes ennemis sont mes amis, pourquoi pas, lorsqu'ils sont serviables et intelligents.
Ma mère, c'est pas une casseuse, et, n'en déplaise à Vespasien, son argent a une odeur, une odeur de retraite de veuve de gradé, de bon pognon bourgeois, une odeur franche, quoi. Seulement, moi, entre les versements de ma mère, j'en intercale d'autres, beaucoup plus importants, et ceux-ci ne sentent absolument pas le bon pognon bourgeois.
Je serai libérée avant lui, c'est presque certain ; mais je sais bien que je reviendrai ici, chaque jour, pour partager... Partager, quelle stupidité ! On ne partage jamais, dans un sens d'allégement : la peine ne se tire pas comme une charrette : si nous sommes deux à peiner, la peine se double. Et toute la peine passée, si longue pourtant, ne compense rien, n'aide à rien, tant qu'elle se poursuit sur nous ou sur d'autres, tant qu'elle ne se détruit pas elle-même. Si nous, nous en évadons, d'autres filles et d'autres gars, au même instant, s'y engluent ; la peine nous roule et nous érode en une marée sans fin et ces années - si consistantes pourtant, "faut se les goinfrer" - se liquéfient et s'évaporent à mesure : même la mémoire n'en retiendra rien.
L'amitié c'est comme ces chatons joueurs et griffus qu'il vaut mieux noyer à la naissance : ça pousse trop vite.
J'aperçois une lueur humaine dans le regard de la matonne : elle de gros yeux, bleus ; plus facile à déchiffrer. En cet instant de grâce, j'y lis des trucs gelés, des hiéroglyphes taillés dans l'iceberg : pas de doute, elle est aussi frigo que moi. Une vague sympathie de gens frigo circule, j'ai presque envie de rompre la glace, mais je me rappelle que je suis très, très fatigué. Je dis seulement :
"C'est pas chauffé, cette prison ?
- Si, si. Je fouille vos affaires, après je vous mènerai au feu avec les autres."
Le silence est une habitude plus facile à prendre que la taule qui le fait naître.
A essayer d'épuiser la taule, c'est moi qui m'épuiserais : elle est de ces sujets qu'on croit avoir longés d'un bout à l'autre, et qui se révèlent être cycliques ; à l'autre bout, je retrouve le début, là où d'autres l'abordent pour leur propre compte et remettent tout en question.
Je suis comme ces élèves, pas bûcheurs mais doués, qui rendent toujours leur copie avant la cloche de la récréation.
En fixant, j'évite la gamberge, mais je risque l'abrutissement.
J'accepte : peu importe l'état où je serai en arrivant, mais j'arrive au bout de l'étape, vite, que je sorte du cercle, vite, vite. Arriver. Tant pis pour la maigreur, l'épuisement et la rouille : tout ceci s'en ira, l'essentiel est de tenir le coup ; sauver si possible les charpentes de la carcasse et de la raison, mais surtout dépouiller les heures. En les bourrant de drogue, d'âneries, de n'importe quoi, je m'en fous pourvu qu'elles crèvent, vite, et que, de leur tas crevé, de cette vie d'infusoire aux limites élémentaires de moi, je m'élève, enfin, jusqu'à la résurrection.
Il n'y a pas de palliatif à l'attente, les peines des autres ne vous consolent pas de la vôtre, et leurs joies vous sont indifférentes... leurs joies et leurs têtes et leurs questions.
L'ignorance, c'est comme paire de pantoufles moites.
En taule la pitance littéraire est pour moi la meilleure.