Verona Lovers
Sur les frais oreillers de marbre ciselé
Où fane un lourd feston de corolles savantes
Se confondent sans fin les amants aux amantes
Qui se sont fait mourir du verbe ensorcelé
Avares du vieillir ô vous enviez-les
D'avoir sur le tremplin des extases si lentes
Laissé ce million de minutes naissantes
Et bien royalement le monde tel qu'il est
Cette nuit-là comme il s'aimèrent sans mensonge
Quelque pouce géant dans sa toute bonté
À fait rouler leurs yeux hors des coffres du songe
Cependant que très loin sur les terres bénies
Les violons têtus enchantaient les Asies
Et riaient de tendresse leurs divinités
Soissons, 1960
2508 - [Le Livre de poche n° 3106, p. 130]
Des hauts pays de froidure
Je frissonne bien souvent
Du vent qui traîne dément
Sa souffrance crue et pure
De ses défunts monuments
Mi-larmier mi-ossature
Seule rêverie sûre
Se laisser infiniment
Dans la glissante verdure
Pacotille d'océan
Au baiser douce gerçure
Que d'être amoureusement
Lorsque tu t'en reviens aux gens
C'est toujours un lit qu'ils te donnent
Les logeuses et les patronnes
Les médecins et les amants
Du berceau tout enguirlandé
Jusqu'à la couche mortuaire
C'est bien le pucier ma chère
Le meuble le plus demandé
Novembre 1966
441 - [Le Livre de poche n° 3106, p. 176]
Laisse passer la saison
Le temps y fait sa chanson
Sans agonie et sans risque
Il tourne comme un beau disque
Je suis en mal du mal que j'aime
Du ciel fauve où bat sans arrêt
Appel rythmé la forêt
Pour l'impossible poème.
Dans nos courses d'enfant pas sage
Sous le dôme d'air et de lait
Comme la fontaine volait
Légèrement au visage.
Le vent bruni couleur de flûte
Dans le sable nous effaçait
Et douce pluie dansait
Mêlant nos pas en sa chute.
Doullens, 1956
2512 - [Le Livre de poche n° 3106, p. 132]
Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier
Adieu oui oui ou adieu peut-être
Réticente ou tentante
Tu ne nageras jamais plus loin
Que ce haut de couloir
Ou tu rentres le coeur sur les bas
Sommeil enfin les jambes serrées
Sur les mains
Avec cette image d'enfance
Qui penses à toi à laquelle tu penses
Et que la vie ne veut pas
J'ai bien trop détesté
J'ai trop voulu et je voudrais
M'arracher la cervelle
La jeter dans un coin
Puisqu'elle fut le pauvre instrument
Comme le vieil outil à l'ombre délaissé
Comme l'enfant cruel qui n'est pas encore né
Reposer je m'en vais
Dans les entrailles de ces puissantes ténèbres
Me fondre en d'autres nuits bénies
Etre la nuit
N'être plus rien
Deux dates de pierre
Dans mille cimetières
Si tu ne pilles
De quoi payer
Viens festoyer
Dans les grapilles
Mordre aux morilles
Du bois poreux
Et boire bleu
Dans les jonquilles
Croûte gentille
O tes relais
Beau princelet
De nom Chantille
- Je viens à toi,
Lune! Dis-moi,
O éternelle!
Pourquoi, si belle?
- Recherchez-vous encor
Cette ardente gelure?
Et votre chevelure
Plaît-elle aux gouffres morts?
- O les noyés
Asphyxiés!
O mes pendues!
O mes voix tues.