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Critique de FinkelTrojanow


« Nullipare », c'est ainsi que l'on désigne, dans le règne animal, les femelles n'ayant pas eu de petits.
Pour les humains, être nullipare, c'est être obsédé par cette vie que l'on n'a pas donné, c'est cette origine que l'on n'a pas été. D'où sans doute la recherche minutieuse de ses propres traces, de son empreinte dans le monde. L'auteur se retourne donc sur les pays dans lesquels elle a vécu, la langue oubliée qu'elle a jadis parlé, les appartements qu'elle a habité. Les lieux, le réseau de ce que l'on a été, là où on l'a été. Et puis sa mère, son origine à elle, l'origine radicale et non négociable de chacun, par rapport à laquelle (et souvent contre laquelle) on se pense, on se définit, on se construit. Sa mère à elle, donc, malade avant de devenir folle, et dont elle restera toujours la fille ; sa mère dont le statut, précisément, lui sera toujours refusé à elle.
Alors on se retourne sur sa vie, ses bifurcations, les moments où cela aurait pu être possible, déboucher sur… mais où cela ne s'est pas fait. Les enfants que l'on n'a pas eus et les vies qui seraient allées avec. Les choses en lesquelles on se rêve (cheval, écrivain, une beauté de concours, médecin, femme forte, épouse, mère…) et puis il y a ce qu'on est et que finalement on ne choisit pas, ou si peu.
Quand, avec la ménopause, on prend conscience que « pour toujours, (on) sera une femme sans enfants », on repense au réel non avenu, aux possibles non réalisés, à l'inutile ironie de cette « usine chimique » qui, cycle après cycle, la définit comme femme et mère potentielle : deux cent mille ovocytes, créés au cinquième mois de la vie embryonnaire, et qui s'écoulent mois après mois dans le sang des règles.
La nullipare est donc une femme non-avenue. La contrepartie, c'est sa liberté. Car c'est indéniablement une liberté mais il est indéniable aussi qu'il est des libertés que l'on ne choisit pas, et qui se construisent sur les ruines de ce qui n'advient pas.
Il y a toujours des moments pour nous le rappeler. Des instants de grâce douloureuse, comme cette fillette de cinq ans croisée dans un parc et dont personne ne pourrait ne pas vouloir devenir le parent, ou bien, plus troublant encore, ce jeune homme d'une vingtaine d'années observé sur un fronton de Bayonne et dont l'auteur se prend, le temps d'une partie de pelote, pour la mère soucieuse et aimante. le livre dit les enfants croisés, les enfants rêvés, mais aussi les rêves qu'on s'interdit d'abord, avant de s'apercevoir qu'à la longue on n'a plus besoin de se les interdire tout simplement parce qu'on ne sait plus les faire. D'eux, Jane Sautière dit qu'ils sont « démonétisés » ou encore « cramés », et c'est très juste parce que la liberté qu'on ne choisit pas se charge pour vous de brûler les terres du rêve.
Jane Sautière sait dire tout cela, avec justesse, lucidité mais aussi souvent avec une grande poésie. Elle n'enjolive rien, dit les choses que l'on cache habituellement (les règles, la ménopause, les enfants que ses amies regrettent d'avoir eus…), ces vérités inconfortables et dont on ne peut faire de beaux tableaux parce que, précisément, il est des vérités bien laides.
Et pourtant Jane Sautière montre que, même là, il y a de la place pour la grâce.
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