Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu

Je ne vous reproche pas tant d'avoir fait mettre un innocent en prison, que d'avoir laissé courir un assassin.

J'ai jadis eu une fille et pour des raisons qu'il serait ici pénible d'évoquer, nous nous sommes brouillés… enfin je me suis brouillé avec elle quand elle a voulu être actrice. J'ai en effet toujours pensé que le cinématographe n'est pas un milieu pour une jeune fille. Mais elle n'en fit qu'à sa tête. J'ai coupé les ponts. Cependant à chaque Noël, elle m'envoyait une carte. Elle n'a jamais failli à cette tradition. Et puis un jour, plus rien. Alors mon cœur s'est refermé comme le couvercle d'un cercueil. Aujourd'hui je veux réparer mes torts, je veux la revoir une fois dernière.

En tous cas, je vous promets une bonne critique.

C'est alors que j'eus l’idée de retourner la situation à mon profit : après tout, c'était moi le maître du jeu !

Lundi 25 avril 1925 - C'est demain que nous devons tourner la scène finale. La perspective de me passer la corde au cou m'est extrêmement désagréable (même si c'est un mannequin que l'on peut en réalité). Quelle horrible façon de mourir ! Mais Carr a décidé de bouleverser la fin du scénario et de renoncer au happy-end : les sept nains surprennent le Prince Charmant près du cercueil de verre de Blanche Neige, et fous de jalousie le pendent à la branche d'un arbre. Il est vrai que depuis la disparition de Violette, le réveil de Blanche Neige est définitivement compromis.

Voici bien des années, j'arpentais ces immenses pièces vides et ces longs corridors, comme nous le faisons aujourd'hui, à la suite d'un agent immobilier qui me faisait visiter cette maison. C'était un étrange vieillard et lorsque je lui avouais que je n'avais pas vraiment les moyens de m'offrir pareille demeure, il me proposa un marché plus étrange encore. Cette maison pouvait être à moi, dès demain. Je pouvais devenir riche, très riche, à une condition : signer un contrat exclusif avec un producteur pour lequel je m'engagerais à tourner une série de films. Mais désormais tout ce que je filmerais se produirait dans la réalité. Une jeune actrice séduite devant la caméra tomberait réellement dans mes bras. Et il en serait ainsi de tout le reste : lucre ou luxure, tout serait possible. Tout ! Le meilleur comme le pire ! C'est ainsi que la vieille sorcière d'Hansel & Gretel périt dans un incendie ou que Derval se pendit le lendemain même d'une scène de lynchage.

Écoutez Hérisson ! Laissez tomber cette vieille histoire ! À l'heure qu'il est, la fille est devenue une starlette à Hollivoude, à moins qu'elle n'ait échoué dans un bordel de Tanger. C'est la vie.