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Critique de Nemorino


Ces vers s'offrent à mon coeur désert comme le Paris du mois d'août. Les cristaux de quartz… Je pense au quartz violet, l'améthyste, à une joaillerie de paroles, et à un lieu abstrait. Ni eau, ni végétal, ni animal… ce serait une planète sans vie. Mais, dès le premier poème, une arche de Noé est mise en scène, comme une surprise, un espoir ! Je pressens qu'il s'agit plutôt d'un dépouillement, d'une apocalypse intérieure, nécessaires pour la refonte. Ce « prélude » est essentiel au poète pour parvenir à écrire ainsi. Et c'est finalement une terre « gémissant de verdure » où Dieu n'est qu'une colombe, et un océan de promesses qui s'ouvrent à nous.
Plus taillés ou plus bruts, ces textes sont une abstraction lyrique, tant l'émotion individuelle de l'auteur, ses plaies, ses étoiles égarées, y priment. Ce livre est tel un miroir de l'humilité, le reflet d'un sage aux tempes neigeuse : être docile et sans orgueil, doué de l'errance, sachant se nourrir de sa solitude. Néanmoins c'est un poète gratifié de l'hyperesthésie, baigné de rêves, c'est par là qu'il pèche ! Son papillon de désir se lève tous les matins, et l'horizon, bleu d'amour, le presse de prononcer des mots pas encore prononcés jusqu'à tomber en syncope, jusqu'à se rendre compte d'une « illusion à deux ». Et l'amour s'égrène comme un puzzle. Jusqu'à ce que son amoureuse qui l'a « oublié en vie », sans indice ni jalon, se loge discrètement en lui à nouveau et tout lui semble de nouveau d'une rare beauté… Car l'amour planera toujours dans les airs, se tapira dans les grains de la rosée à chaque aube. Comme la valse des pluies qui tournera, sautera, bondira, encore et encore, si nécessaire à l'arc-en-ciel de la poésie. Comme l'amour du poète pour l'automne, qu'il ne se lasse jamais d'évoquer.
Le poète, c'est un quartz irisé ! Parce que c'est une créature accidentelle, fendillée par essence ! Pour lui, la bien-aimée est tout, il y a du panthéisme dans cette vision ! George Schinteie chérit, comme moi, les grues cendrées, les pappus du pissenlit et encore tant d'autres choses minuscules, il a cette même naïveté qui nous sauve dans toutes questions existentielles et apporte le sentiment d'avoir mordu le temps !
Dans ce recueil, le temps est parfois perçu comme une raideur articulaire, quelque chose qui tord les mains et les pieds, une douleur d'actes inaccomplis dans une sisypherie du corps fatigué. En dépit de cela, le poème est toujours prêt à cueillir, fécondé par la Nature, il suffit d'y consentir, comme on consent à l'absurde des trois biches qui s'avancent dans la ville, ou à celui des coquelicots qui débordent sur une voie ferrée, ou encore à celui de faire commerce de ses bonhommes de neige en plein hiver glacial. Consentons au vers, et un invisible maestro nous offrira une dizaine d'années ! Faisons comme si…
Le Poète passe, à pas feutrés, tel un époux splendide sur une rive dépeuplée, toujours en quête d'une fiancée qu'il a hallucinée. Je reste longtemps dans le sillage de ses paroles, étonnée.
C'est une poésie parfaite, harmonieuse et même « cohérente ». Il y a un remède à tout chez le poète-penseur qui envisage un bien-être complet par la poésie. Mais la beauté du « Désert de Quartz » est toujours décente et gracieuse, ne connaissant pas de gouffre, pas d'angoisse, pas de risque. J'aime quand la poésie se révèle plus dangereuse. J'attends de sa rencontre une espèce de frisson, le plaisir de frôler l'interdit, l'immoral. N'écrire que ce qu'on ne peut pas dire ! C'est pour cela que, pour ma part, je préfère largement des pages plus espiègles et plus audacieuses de George Schinteie à celles où la mélancolie s'insinue par la parabole résignée du sable et du sablier.
Il me reste à féliciter la traductrice Gabrielle Danoux qui a oeuvré avec abnégation et délicatesse pour la sortie de ce livre en français, poussée par son extraordinaire admiration du poète George Schinteie. Car il faut tant d'endurance pour pénétrer dans la pensée de l'autre et ensuite la transmettre fidèlement. C'est parfois plus difficile que de rédiger sa propre idée, composer son propre vers. Grâce à Gabrielle, cette lecture a semé un florilège de citations dans le ciel de Babelio, comme une comète.
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