AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de oiseaulire


J'ai découvert ce livre par l'intermédiaire de Claudie HUNZENGER, qui a publié le 28 août 2019 "Les Grands Cerfs" aux éditions GRASSET (prix Décembre la même année).
Elle présente ce livre comme l'un de ceux qui, jeune, a le plus marqué son imagination et sa création littéraire.
-----
Un article édité par l'HUMANITE le jeudi 13 octobre 2011, titré "L'IRRÉDUCTIBLE DE LA LITTÉRATURE ALLEMANDE" me semble mériter d'être reproduit tel quel, il me tiendra lieu de commentaire.

"Arno SCHMIDT va-t-il cesser d'être un inconnu en France ?
Le besoin d'une nouvelle traduction de Scènes de la vie d'un faune, près de cinquante ans après une première version due à Martine Valette et Jean-Claude Hémery, montre que le cercle de ses lecteurs n'est plus une société secrète. Paru en 1953, Scènes de la vie d'un faune, troisième livre et premier roman de l'auteur, est le troisième volet d'une trilogie consacrée à l'Allemagne pendant la guerre. Düring, obscur chef de bureau dans une sous-préfecture de Basse-Saxe, en 1939, consigne avec une ironie mordante ses notations sur les effets du nazisme sur la mentalité, la culture, la langue de ses contemporains. Missionné par son supérieur pour collecter des archives, il découvre des traces d'un déserteur des armées napoléoniennes qui sévissait dans ce qui était alors le royaume de Westphalie, trouve son repaire et s'y réfugie pendant les bombardements de 1944, avec la jeune Käthe, sa « louve ».
Le roman, qui échappe au « continuum » du récit classique, alterne remarques critiques, scènes de la vie de bureau sous Hitler, échappées amoureuses, souvenirs, réflexions philosophiques, littéraires et scientifiques. Si son originalité avait déconcerté les lecteurs, elle avait valu à Arno Schmidt d'être remarqué par Hesse, Junger, Döblin et Grass."
🌿🌿🌿
Rencontre avec Nicole TAUBES, qui poursuit chez Tristram, l'oeuvre de traduction entreprise par le regretté Claude Riehl.
=
❗️Pourquoi le public français est-il passé à côté 
d'Arno Schmidt, en 1963 ?
- Nicole Taubes. Arno Schmidt n'était pas à l'heure. Il avait reçu un accueil critique étonnamment bon, au-delà des spécialistes. Dans le Monde, un article l'avait même considéré comme « ni rebutant ni difficile ». La mode était au nouveau roman, et on pouvait l'y accrocher. Peut-être y avait-il un problème avec l'Allemagne, dont la littérature était très peu lue en France à l'époque. Des auteurs allemands, on attendait un humanisme plus simple, un engagement plus direct, des témoignages, comme ceux de Böll ou Grass.
❗️Alors qu'Arno Schmidt 
n'est pas moins subversif.
- Nicole Taubes. Son engagement n'est pas là où on l'attend. de manière très décalée, sa critique est plus ironique. Elle passe par un travail analogue à celui qu'avait fait Viktor Klemperer sur la langue du IIIe Reich. C'est par la critique de la langue sous le nazisme qu'il montre comment un peuple peut être abêti. Approche plus littéraire mais qui en dit autant qu'une satire frontalement politique.
❗️Les rapports entre Düring 
et son supérieur 
sont de véritables dialogues philosophiques…
- Nicole Taubes. le sous-préfet (terme qui ne rend qu'imparfaitement compte de l'allemand « stadtrat », qui désignait le représentant du pouvoir nazi dans une ville) est un docteur, titulaire d'une thèse, qui représente bien le ralliement des milieux académiques au pouvoir. Il tente de marquer sa supériorité sur Düring en l'interrogeant sur la philosophie, et se trouve désarçonné par les connaissances de son subordonné.
❗️Qui continue pour son propre compte…
- Nicole Taubes. Sans qu'on sache bien à qui ils s'adressent, il y a des développements philosophiques, et scientifiques d'ailleurs, dans le livre qui montrent en particulier son goût de la philosophie grecque et son athéisme radical.
❗️Et aussi des goûts littéraires très tranchés…
- Nicole Taubes. Il règle ses comptes avec les pères fondateurs, en particulier Goethe, dont il tolère la poésie et le théâtre, mais rejette les romans. Il réhabilite les « petits romantiques » comme La Motte-Fouqué, un peu pour ses attaches locales, beaucoup par amour du conte, du rêve. Ce qui le pousse aussi vers Edgar Poe, Fenimore Cooper, qu'il traduira. Mais le dieu suprême du panthéon de l'autodidacte revendiqué qu'est Arno Schmidt, c'est Wieland (1). Dans le domaine formel, outre Wieland, avec ses recherches de vocabulaire, un poète expressionniste, August Stramm, l'a particulièrement intéressé. Enfin, il dit pis que pendre des réalistes français, Balzac et Zola : « Aucune poésie, aucun sentiment de la nature. » Deux critères pour lui fondamentaux, qu'on retrouve dans toute son oeuvre.
❗️Ce n'est pas pour autant 
un révolté. Comme il le dit, 
il « s'évade à moitié »…
- Nicole Taubes. C'est un personnage ambigu. Il n'est pas un héros, ni émigré, ni résistant. Il ne tient pas à se faire pendre, il n'a aucun moyen de lutte à sa disposition, et sa révolte se mue en critique secrète, et trouve aussi sa place dans l'érotisme. Il est d'ailleurs assez discret, sans être pudibond.
Il crée avec Käthe, « la louve », un beau personnage.
Nicole Taubes. C'est une femme libre, qui se moque bien de l'embrigadement des jeunes filles allemandes et qui, dès le début, entend être traitée en égale. Käthe n'a rien d'une Lolita de Nabokov, c'est une fille solide, franche, qui sait ce qu'elle veut. On ne trouve pas pour autant de discours féministe, mais, même en 1960, ce personnage tranche sur le conservatisme de l'Allemagne d'Adenauer. Il faut éviter les malentendus sur Arno Schmidt. Sa critique est anarchiste, individualiste plus que militante. En fait, son véritable engagement s'exprime dans la littérature, dans la volonté de dynamiter les formes anciennes et de proposer une politique de la liberté en écriture.
❗️Sans être vraiment difficile, 
sa lecture surprend.
- -Nicole Taubes. Bien sûr. Il le dit lui-même : « Ma vie n'est pas un continuum », donc le roman sera un désordre apparent où affluent les perceptions, les souvenirs, les idées, les formations de la conscience, et de ce désordre apparent, on perçoit très vite la logique. Sans aller jusqu'aux audaces typographiques de ses dernières oeuvres, il est très fragmentaire, en particulier au début, où il faut installer cet univers discontinu dans la scène de bombardement finale et dans les moments cruciaux. Mais souvent de longs moments de narration classique prennent place et cet effet de montage se fait vite oublier. Sans faire profession d'avant-gardisme, il ne veut pas être prisonnier du passé et propose une écriture libre et poétique, diverse et discontinue, à l'image de la vie. C'est peut-être pour cela que son temps, semble-t-il, est venu.
Commenter  J’apprécie          151



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}