La tentation

Découvrir sa passion des hommes dans une ville de province n’a rien d’enviable. Toutes ces envies sont condamnées à rester longtemps inassouvies. Moins j’avais la possibilité de concrétiser mes désirs, plus mon imagination vagabondait autour des garçons avec lesquels je partageais les vestiaires.

— C’est pas du tout que j’avais honte, Enfin, pas de toi, reprit-il plus calmement. J’avais plutôt les boules… Les boules d’être comme toi.

Je le dévisageai sans dire un mot.

— Réfléchis un peu ! On a passé tellement de temps ensemble. T’as toujours été un exemple pour moi. J’ai toujours voulu devenir comme toi. Pendant des années, t’as été la personne la plus importante dans ma vie. Alors, je me suis demandé si l’amitié que j’éprouvais pour toi n’était pas en réalité de l’amour. Je me suis demandé si je n’étais pas amoureux de toi…

Lorsque la salle plongea dans l’obscurité, j’oubliai un instant mes déboires, mes frustrations et mes déceptions. Je m’évadai dans ce monde hollywoodien où les sentiments se révélaient plus intenses et nobles que dans la réalité. Où les désirs les plus ardents finissaient toujours par se matérialiser. Durant une heure et demie, j’échappai surtout à cette lassitude qui me collait au corps. La lassitude d’attendre quelque chose qui n’arriverait jamais.

— Je te parle sérieusement là, le grondai-je.

— Mais, moi aussi, Benjamin. Parfois, tu te rends vraiment pas compte que tu ne laisses pas les gens indifférents.

Je me redressai sur mes coudes et me tournai vers lui pour le regarder droit dans les yeux.

— T’aurais succombé à sa place ?

— Oui, répliqua-t-il sans hésiter.

— Pourquoi tu ne l’as pas fait ? demandai-je sur le ton du reproche.

— Parce qu’on en a pas eu le temps… Mais je crois pouvoir comprendre ce qui se passe dans la tête de Gregory.

— Tu pourrais t’imaginer avoir une relation avec un mec ?

— Ça, non, je ne crois pas, reconnut-il. Autant je peux concevoir prendre mon pied au lit avec un mec qui me plairait vraiment, autant je ne peux pas m’imaginer tomber amoureux d’un homme.

Claire et moi nous nous mîmes à danser de plus en plus étroitement l’un contre l’autre. Imbriquant ses jambes entre les miennes, elle effleurait de plus en plus sensuellement mon bas-ventre pendant que je posais mes mains sur ses hanches étroites. Son corps fébrile et ondoyant accusait instantanément la volupté que lui procuraient mes caresses. Son regard plein de malice fouillait le mien. Ses lèvres sucrées brillaient sur ses dents blanches. La complicité charnelle que nous partagions ainsi excitait aussi bien mon arrogance mâle que son exquise vanité.

  Lorsque je levai les yeux au-dessus de ses épaules, mon regard croisa celui de Gregory qui parut à la fois surpris et ravi de me voir.

Un liquide fétide et spumeux remonta douloureusement le long de mon œsophage et sortit de ma bouche. Dans une série de violentes convulsions, je me mis alors à rendre tripes et boyaux jusqu’à ce qu’un filet de salive s’échappât de mes lèvres. Malgré tout ce que je venais de régurgiter, l’alcool, traître et redoutable, continuait à contaminer mon sang de ses effets délétères. Rarement je m’étais senti aussi pitoyable et jamais la maison ne m’avait semblé aussi loin.