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Critique de oblo


Yves Lacoste écrivait que la géographie servait à faire la guerre. Comme une illustration de la formule du géopoliticien, l'album La frontière invisible met en scène un jeune cartographe, Roland de Cremer, envoyé au Centre de Cartographie d'un Etat en pleine mutation, la Sodrovno-Voldachie. Travaillant sur des cartes et des photographies, Roland prend part à un projet plus important : l'élaboration d'une maquette qui représente la Sodrovno-Voldachie. Derrière cet ouvrage, il y a une volonté politique de marquer et d'élargir les frontières de cet Etat. Cette politique expansive a pour but de mettre la main sur le continent des cités obscures : autant d'occasions pour Schuiten et Peeters de glisser, ça et là, des références à leurs précédents albums.

Au Centre, Roland fait la connaissance d'une jeune femme, Shkôdra, qui possède sur le bas du dos un tatouage - ou une tâche de vin - qui semble représenter la Sodrovno-Voldachie. Très vite, les événements politiques qui agitent le Centre de Cartographie font croire à Roland que Shkôdra est en danger. Lorsque les militaires viennent prendre le contrôle du Centre, Roland s'enfuit à travers les paysages de Sodrovnie avec Shkôdra.

Ce sera peut-être là le seul défaut de l'album : le scenario. La narration pâtit d'une fin qui fait pschitt, sans réel dynamisme. le secret de Shkôdra devient soit incompréhensible, soit d'une triste banalité. Toutefois, la BD présente de très nombreuses qualités qui justifient non seulement sa lecture mais également son approfondissement intellectuel. Nombreux sont les thèmes exploités : la géographie et ses possibilités, une interrogation sur la représentation cartographique et son lien avec la réalité (notamment dans la fuite de Roland dans des paysages qu'il est censé bien connaître), la question du progrès et de ses conséquences : déshumanisation (par le rôle accru de la statistique ou de la donnée pure, par l'évincement de la part artisanale dans les travaux du Centre), utilité réelle ... Par ailleurs, La frontière invisible présente toutes les caractéristiques du récit d'initiation. Ici, Roland apprend non seulement son métier mais il apprend aussi de lui-même, sur l'amour et la relation au pouvoir.

Mais l'oeuvre n'est pas qu'intellectualisante. Elle est aussi d'une beauté esthétique qui est devenue une habitude dans les oeuvres de Schuiten et Peeters. On retrouve donc le trait rond, souple, évasif parfois mais précis toujours, légèrement appuyé par les couleurs pâles et pourtant chaudes (on est en plein désert !) de la Sodrovnie. François Schuiten maîtrise aussi bien les extérieurs (magnifiques planches sur la deuxième partie de l'album) que les intérieurs. le récit invite au voyage par sa grande inventivité mais aussi par l'ambiance qui s'en dégage : on est au début de notre 20ème siècle, entre Art Nouveau et progrès technologiques (le zeppelin stylisé du maréchal), avec ses beautés et ses guerres (les champs de bombe, les champs de tombe, très métaphoriques et très graphiques), souvenirs d'une époque qui jongle dans notre inconscient avec la tendre nostalgie et l'horreur de la mort.
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