Toutes ces techniques administratives [quantitatives] ont pour principal défaut le fait de fonctionner, au nom de l’égalité et de la démocratie, comme une gigantesque machine « antipolitique », balayant des vastes pans du débat public hors de la sphère publique pour les remettre entre les mains des comités techniques et d’administration. Elles entravent la tenue de débats potentiellement instructifs et vivifiants au sujet des politiques sociales, de la nature de l’intelligence, de la sélection des élites, de l’importance de l’égalité et de la diversité, et de la raison d’être du développement et de la croissance économiques. Bref, elles donnent aux élites techniques et administratives les moyens de convaincre un public sceptique (tout en l’excluant du débat) qu’elles ne font aucun favoritisme, n’entreprennent aucune action discrétionnaire obscure, n’ont aucun parti pris.
Aujourd’hui, au delà de l’État-nation comme tel, les forces de la standardisation sont représentées par des organisations internationales. L’objectif principal d’institutions comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce, l’UNESCO et même l’UNICEF et même la cour internationale, est de propager partout dans le monde des standards normatifs (des « pratiques exemplaires ») originaires, encore une fois, des nations de l’Atlantique Nord. Le poids financier de ces agences est tel que le fait de ne pas se conformer à leurs recommandations entraîne des pénalités considérables qui prennent la forme d’annulation de prêts et de l’aide internationale.
On ne peut nier que la plupart des grands épisodes de réforme ont été déclenchés par des désordres majeurs que les élites se sont empressées de contenir et de normaliser. Certains préfèreraient sans doute légitimement des formes plus convenables de manifestations, des formes d’action acquises à la non-violence, qui visent une forme de supériorité morale en s’en remettant à la loi et aux droits démocratiques. Nonobstant de telles préférences, les réformes structurelles ont rarement été le fait de revendications convenables et pacifiques.
J’avance ici l’hypothèse que les deux derniers siècles passés sous l’emprise de l’Etat et des économies libérales nous ont peut être socialisés de telle sorte que nous avons pratiquement perdu toutes nos habitudes de mutualité et que nous sommes par conséquent en danger de devenir exactement les dangereux prédateurs qui selon Hobbes peuplaient la nature à son état sauvage. Le Léviathan a peut être ainsi donné naissance à sa propre justification.
L’émeute est le langage de ceux qu’on n’écoute pas. (Martin Luther King Jr.)
Historiquement, la famille patriarcale était plutôt un milieu de formation à la servitude pour la plupart de ses membres ainsi qu’un terrain de pratique de l’autoritarisme pour les hommes responsables du foyer et leurs fils en apprentissage.
Une bonne partie de l’histoire et de l’imaginaire populaire, en plus d’effacer son caractère contingent, attribue implicitement aux acteurs de l’histoire des intentions et une conscience qu’ils n’ont tout simplement pas pu avoir.
La plupart des grandes réformes politiques des XIXe et XXe siècles ont été accompagnées de longs épisodes de désobéissances civiles, d’émeutes, de transgressions des lois, de perturbation de l’ordre public, voire de guerres civiles.
Chaque jour, si possible, enfreignez une loi ou un règlement mineur qui n’a aucun sens, ne serait-ce qu’en traversant la rue hors du passage piéton. Servez-vous de votre tête pour juger si une loi est juste ou raisonnable. De cette façon, vous resterez en forme ; et quand le grand jour viendra, vous serez prêts.
Le fait que le progrès et le renouveau démocratique semblent plutôt nécessairement découler d’épisodes de profond désordre extra-institutionnel contredit violemment la promesse de la démocratie en tant qu’institutionnalisation du changement pacifique.