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Critique de berni_29


Oui je sais, par cette chronique je vais en faire braire plus d'un. « Ah ! Il est retombé en enfance... » Ou bien encore : « Il organise déjà la bibliothèque de sa prochaine vie de grand-père... » Que nenni !
Non c'est tout simplement à la faveur d'un challenge Babelio,- 1001 pages féminines à lire en un seul week-end, que je suis revenu sur les pas d'une lecture qui m'avait enchantée presque cinquante ans plus tôt...
Mémoires d'un âne est selon moi un des récits les plus attachants de la Comtesse de Ségur, avec L'auberge de l'Ange-Gardien.
Les livres de la Comtesse de Ségur m'évoquent tout d'abord le souvenir d'une enfance dont j'ai parfois du mal à redessiner les contours. Longtemps je me suis demandé ce que j'avais fait à cette époque. Ma mère m'a donné l'envie des livres et dans sa bibliothèque elle avait elle-même le souvenir d'une enfance bercée par les multiples ouvrages de la Comtesse de Ségur qu'elle avait conservés pour nous en partager les récits. J'aimais ce charme désuet, où des personnages ne cessent de trébucher dans les pièges que le destin leur tend pour voir comment ils vont réagir. Plus tard, j'ai trouvé que les messages que ces ouvrages cherchaient à transmettre pouvaient revêtir un côté parfois agaçant, mais je ne parvenais pas à me détacher d'une atmosphère qui évoquait peut-être davantage une enfance à jamais disparue plutôt que la qualité littéraire des livres en question. Cela dit, ces textes offrent souvent pour les enfants un sens de la narration qui capte l'attention.
Vint plus tard un autre épisode marquant, celui où j'avais seize ou dix-sept ans, je ne sais plus. J'avais décidé de trouver un job d'été comme animateur en centre de vacances, à l'époque déjà on ne disait plus moniteur de colo... Je devais passer une sorte d'examen qui s'appelait le BAFA. Je pense que cela existe toujours puisque mes enfants à leur tour sont passés par là il y a très peu de temps. Une des premières étapes était un stage théorique. L'organisme en question avait un engagement social très marqué dans les quartiers défavorisés de Brest avec un discours pédagogique ancré dans la laïcité et une pratique éducative enracinée dans le quotidien, prônant la recherche de l'émancipation de l'enfant ; les enfants que nous accompagnerions plus tard l'été suivant au cours d'un séjour de trois semaines à la ferme étaient loin d'être des anges et de ressembler à ceux qu'on rencontre dans Les petites filles modèles ou Les bons enfants. Je me souviens qu'une des premières questions que nous posa l'éducatrice d'une voix tonitruante, pas vraiment sur le ton d'une question, mais plutôt sur celui d'un défi, fut celle-ci : « Est-ce qu'il y a ici autour de la table des personnes qui apprécient les livres de la Comtesse de Ségur ? » Je me suis alors dit à cet instant qu'il ne fallait peut-être pas trop faire le malin. On s'est tous un peu regardés, nos silhouettes glissant peu à peu jusqu'à l'intérieur de nos sièges comme si nous avions commis un crime affreux. Je sentais brusquement un des derniers vestiges de mon enfance en culotte courte disparaître dans ce cours d'éducation populaire... Une des stagiaires qui avait un peu plus d'aplomb que nous autres répondit : « Oui, moi ! Pourquoi ? » « Ce n'est pas bien ! » vociféra aussitôt l'éducatrice et elle partit sur une argumentation qui, je trouve, sur le fond tenait plutôt bien la route, mais sur la forme elle avait juste un défaut, celle de nous culpabiliser, de nous infantiliser... Elle évoqua les enfants dont nous aurions la charge durant l'été qui venait, des enfants souvent en rupture scolaire malgré leur âge, un peu livrés à eux-mêmes, le père absent parce qu'en prison ou bien mort ou bien parti ailleurs, les frères tous dealers... Alors dans ces conditions, parler d'un monde de goûters champêtres avec des domestiques et des gouvernantes, où le système éducatif présente une vision assez manichéenne de la bonté et de la méchanceté... Elle voulait surtout casser en nous l'image idyllique de nos représentations de l'enfance... Vu sous cette angle-là, oui c'est vrai, je reconnaissais qu'un ton un peu moralisateur, dégoulinant de sucrerie, n'est sans doute pas la meilleure manière de donner aux enfants quelques signes clairs d'émancipation pour avancer dans la vraie vie... Et ce n'est pas que je retiendrai non plus des récits de la Comtesse de Ségur...
Cependant... Cependant il reste une oeuvre peut-être plus moderne qu'on y pense et il faut sans doute y voir autre chose qu'une morale naïve et culpabilisante. À ce sujet, Marie Desplechin aborde dans un collectif intitulé L'une & l'autre, l'univers de la Comtesse de Ségur sous un angle nouveau et une approche moderne très intéressante.
Mais revenons à notre ami Cadichon, puisque Mémoires d'un âne lui donne la parole.
La tendresse qui s'en dégage vaut son pesant d'avoine. Une fois qu'on s'est tous accordés sur la morale agaçante, vient ce qu'il nous importe de retenir de ce récit... Tout d'abord le narrateur est l'âne lui-même ce qui est pour moi l'un des intérêts du récit. Et puis l'âne est sincère dans son propos, ne se donne pas toujours le beau rôle, montre comment parfois lui aussi est vindicatif, orgueilleux, têtu,- têtu un âne, allons donc ?-, trébuche à son tour... apprend de ses erreurs, grandit... Et puis enfin, on éprouve de la crainte, de la joie, de la compassion dans son itinéraire d'un âne trimballé...
C'est pour cela que j'ai voulu évoquer Mémoires d'un âne, un des récits de l'auteure, qui m'a le plus touché.
Et j'ai aimé entendre le propos de Marie Desplechin qui conclut: « Non vraiment, nous pouvons aimer l'enfant en nous qui aimait lire la Comtesse de Ségur. »
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