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Critique de chrysalde


Cet été j'ai eu l'occasion d'effectuer un grand rangement dans mon grenier, et en triant les vieux livres, j'ai retrouvé quelques Comtesse de Ségur. Je me souviens très bien des malheurs de Sophie, d'un bon petit diable. Les autres, je les ai lus, mais il ne m'en reste que de vagues souvenirs. Ce challenge était donc pour moi l'occasion de me replonger dans une de ses oeuvres.

Dès les premières pages, je me suis souvenue de ce qui toute petite m'avait déjà donné l'envie de défendre la veuve et l'orphelin, de me positionner du côté de l'opprimé. Il faut dire qu'avec des personnages aussi manichéens que ceux décrits par la Comtesse de Ségur, le choix n'est pas difficile à faire.

Fallait-il vraiment que nous n'ayons rien à nous mettre sous la dent comme littérature jeunesse pour apprécier à ce point ces histoires tellement binaires et déjà en 1970 tellement hors sol: le riche et le pauvre, le maître et le valet, le bon et le méchant et tous, quels qu'ils soient, pieux et bon chrétiens.

Pauvre Blaise, rien que dans le titre, le ton est donné … Blaise est pauvre, de part son statut social, fils du concierge, et pauvre parce que bien qu'il soit honnête, c'est toujours lui qui est puni, il ne fait pas le poids face à Jules, le fils du maître …
Et donc Blaise est triste, il pleure souvent (parce que Jacques son ami est parti vivre ailleurs, parce que Jules est vraiment méchant et injuste avec lui, …).
Blaise a des velléités d'envoyer Jules promener mais à chaque fois, son statut de serviteur revient le titiller, il ne peut pas dire non, il tente de faire passer son travail avant l'amusement, mais Jules se plaint à son papa que Blaise ne veut pas jouer avec lui, offense suprême, qu'est ce qu'il s'imagine, qu'il peut ainsi refuser au maître … et donc Blaise s'exécute, prend sa tâche à coeur, tout en sachant très bien que quelle que soit la situation, il sera tenu pour coupable des sottises commises par Jules. Quelle abnégation, quelle soumission, quelle éducation à courber l'échine.

Les chapitres se succèdent (même principe que dans les malheurs de Sophie, un chapitre par saynète de vie) … mais presque systématiquement le nouveau chapitre aura pour protagoniste Blaise qui sera bouc émissaire, Jules qui sera fourbe, menteur mais qui tentera de s'en sortir par une pirouette, grâce aussi à la crédulité de son papa qui n'imagine pas son fils bien né en véritable petite crapule. Et Hélène, la bonne, la douce, la pieuse Hélène, la soeur ainée de Jules, qui voit clair dans l'attitude de son frère mais qui en fille ainée se doit de se taire, de prendre sur elle et de faire en sorte que Jules ne soit pas trop sévèrement puni. Souvent elle tente de rétablir la vérité, Blaise fini disculpé mais entretemps, il aura bien pleuré, et elle aura été complètement niée dans son statut d'ainée tout ça parce qu'elle est fille. Voilà comment la société fonctionnait à l'époque.

Les enfants sont cruels (ça n'est pas changé je pense, ce sont juste les méthodes qui se sont modernisées pour assouvir sa cruauté et sa méchanceté). Blaise tue un chat en le prenant pour un fantôme … pauvre chat … Jules pique la trompe de l'éléphant avec une grande épingle jusqu'à ce que celui-ci réagisse … dans les malheurs de Sophie elle enferme un écureuil qui fini par se briser les os en tombant de la faitière du toit du château, elle découpe ses poissons …

Ces enfants de la campagne n'étaient ils dont pas éduqués à la nature. N'avaient-ils si peu de respect pour le vivant qu'ils s'imaginaient pouvoir les torturer pour leur simple plaisir?

A la moitié du livre, la situation prend une autre tournure. Les maîtres sont partis passer l'hiver à Paris et quand Jules et Monsieur le Comte rentrent au château, Jules est terriblement souffrant, mourant. Il fait appeler Blaise pour le divertir, celui-ci hésite, il a encore en tête les moments douloureux de l'an passé. Mais comme il est bon, et pieu, et généreux …. Bref, il se rend au chevet de Jules … la fièvre, le délire de Jules et la frayeur que ressent Monsieur le Comte à l'idée de perdre son fils font qu'ils sont plus attentifs à l'honnêteté de Blaise. En quelques semaines, ce qu'ils ont honni est maintenant adoré. Ils ne parlent plus que du bon Blaise, du brave Blaise …

Quand la comtesse rentre au château après qu'Hélène ait effectué une retraite dans un couvent, elle n'en revient pas du changement d'attitude de son mari et de son fils. Elle refuse de croire en la bonté de Blaise, elle n'est absolument pas encline à s'en remettre à Dieu ni à ses Saints. Elle décide même de tendre un piège à Blaise en lui interdisant de venir au château mais en demandant à ses enfants de lui laisser croire qu'ils pourront aller le voir sans qu'elle le sache. Une manipulatrice née. Jolie mentalité … Blaise ne se laisse pas piéger, elle doit bien reconnaître alors qu'il est effectivement exceptionnel de droiture et d'honnêteté, et le bon Dieu le punissait mais maintenant c'est terminé …. Bref, du bon Dieu on n'en est pas privé.

Pauvre Blaise se termine donc sur une fin style conte de fées: tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, ils se marièrent et vécurent heureux jusqu'à la fin de leur jour.

Dans la foulée de ma lecture, j'ai écouté les podcasts proposés par France Culture sur la comtesse de Ségur, la genèse de son oeuvre, son combat pour être reconnue autrice et pour pouvoir toucher ses droits d'auteur. Cette contextualisation m'a beaucoup aidée à mieux apprécier ma lecture. Je suis de celles qui peuvent tout lire, tout accepter à condition de remettre les choses en contexte. Tintin est raciste, certes, mais à l'époque c'était "normal". Martine aussi … il ne viendrait plus à l'idée d'aucun auteur d'appeler une amie noire "chocolat". Et bien pour la comtesse, c'est exactement la même chose. Ce qui peut paraitre tellement mièvre, paternaliste, empreint de bondieuserie était de mise à l'époque.

Je m'interroge tout de même sur la perpétuation de ces lectures pour les générations à venir. Ma petite fille a 10 mois. Je me fais un plaisir de lui laisser ma bibliothèque si bien aménagée au grenier. Mais lui lirai-je ces histoires? Ou les lui proposerai-je dans une dizaine d'années? Je pense que oui, j'en ai de tels souvenirs… A voir à ce moment là avec elle, si elle apprécie la lecture, et comment elle reçoit ces textes tellement vieillis et pourtant tellement empreints de "nostalgie" … Nostalgie de la gamine que j'étais dans les années 70 … Il faudra à ce moment là que je lui explique comment fonctionnait la société à l'époque
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