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Critique de Kirzy


Kirzy
27 décembre 2021
« Je vous écris dans le noir. de l'obscurité dans laquelle mon crime m'avait jetée, bien sûr, mais aussi de celle qui terrorise les enfants, remplie de monstres et de fantômes. C'était la lettre d'une enfant qui demande pardon pour ses bêtises et pour le mal qu'elle a fait sans le vouloir. Je me demande si on écrit autrement dans le noir, dans cette opacité qui ne révèle ce qu'elle cache qu'au fur et à mesure de l'écriture, comme l'oeil finit par s'habituer à l'obscurité et à redessiner les contours des obstacles qui pourraient nous faire trébucher. »

1950. Pauline Dubuisson a tué son ancien fiancé, elle a 23 ans et a déjà connu l'opprobre en étant tondue à la Libération ( à même pas 17 ans ). C'est la seule femme contre laquelle l'Etat a requis la peine de mort. Elle ira finalement en prison et sera libérée pour bonne conduite en 1960 avant de s'exiler au Maroc.

Le matériau romanesque est exceptionnel tant il est une densité remarquable. Jean-Luc Seigle échappe brillamment aux poncifs et à la routine biographiques. Il ne cherche pas à reconstituer un fait divers mais à raconter la vérité d'une femme détruite en quête de reconstruction, sans jugement ni apitoiement, évitant toute réduction moralisante. Il ose même surmonter le handicap d'être un homme en faisant le choix d'écrire à la première personne.

Et c'est avec une empathie impressionnante qu'il réhabilite Pauline, victime même pas expiatoire d'une société de l'après-guerre profondément misogyne qui s'en est pris aux corps des femmes. Il imagine le contenu des carnets, que Pauline avait écrit à Essaouira, comme une réappropriation par la parole d'un corps de femme hypersexualisé, exhibé, puni, violé, questionné, autodétruit sous le joug de la loi virile. Les mots de Pauline sont bouleversants, résonnant de silences, de rêves, de violences subies, travaillant avec finesse sa psychologie sans jamais verser dans le sensationnalisme, y compris dans une scène choc à la limite de l'insoutenable mais décrite avec une juste dignité et une saine pudeur.

L'auteur emporte totalement l'adhésion tant sa partition est composée avec justesse et générosité, infusée d'un humanisme authentique, servi par une écriture très inspirée, sensible au plus près de Pauline. On ne peut qu'être touchée par le destin tragique de cette femme grandie entre l'effacement d'une mère fidèle et la vénération portée à un père, héros de Verdun, manipulateur et « malsain » , elle qui était une excellente élève étudiante en médecine avec deux ans d'avance, infirmière pendant la Deuxième guerre mondiale, si mal aimée, si désaimée. Cette femme aux plusieurs morts, deux fois condamnés factuellement à mort, tuée par Clouzot dans son film La Vérité inspirée de sa vie ( film terriblement misogyne qui ne voit dans le meurtre commis que la preuve d'un narcissisme féminin à son apogée sous les traits de Bardot ), aux plusieurs tentatives de suicide face à l'incapacité de la société de pardonner alors qu'elle espère jusqu'au bout une possible rédemption et une réelle émancipation.

Superbe et terrible.

A noter que dans l'édition J'ai lu, ce roman est très pertinemment accompagné d'un bref texte : Iphigénie ou les effets de la chasse, lui aussi très beau.
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