Peut-on critiquer
Jorge Semprún ? Peut-on donner une note à ce qui fut la recherche littéraire et personnelle d'un homme souhaitant autant qu'il le redoutait donner du sens à une réalité historique aussi inconcevable que les camps de la mort nazis ?
Cette épaisse compilation non-exhaustive de
romans, discours, essais et préfaces dresse un portrait chronologique de ce qui fut l'oeuvre littéraire (et politique) de
Semprún. du premier roman expérimental à celui d'homme mûr qui tient davantage de l'autobiographie, nous découvrons et redécouvrons sous différents angles des événements choisis de la vie d'expatrié politique, de résistant, de déporté, de revenant (calembour ?) de l'homme qui voulait écrire tout en étant persuadé qu'exprimer l'indicible le consumerait jusqu'à la mort.
Pour une découverte de
Semprún, cette compilation est presque trop belle ! Si j'ai dû passer les préfaces et discours, beaucoup trop intellectuels pour mon ignorance des personnages importants du siècle dernier, mais les
romans m'ont charmé. Habitué aux récits de déportés façon lycée, j'ai pu la revoir sous l'angle du "ni héros, ni victimes" cher à l'auteur. L'Évanouissement, en particulier, est un exercice de style qui touche à la difficulté de revenir à la vie civile, et de comprendre ledit retour comme une réalité et non un rêve plaisant qui se finira inexorablement lorsque, au milieu de la nuit, l'officier SS à la tour de contrôle ordonnera au haut-parleur que l'on éteigne le four crématoire dont la cheminée pourrait attirer les bombardements ennemis.
Amateurs curieux comme moi, si le livre vous semble trop touffu, ne lisez qu'un roman. Et si vous les lisez tous, alors vous aurez le plaisir de reconnaître les personnages et événements récurrents, et de pouvoir apprécier la multitude et l'évolution des réflexions poétiques, cyniques et pleines d'humour d'un grand homme profondément humain.
Spécialistes de
Semprún ou de la seconde guerre mondiale, vous possédez déjà cet indispensable : faut-il prêcher au converti ?
L'arbre de
Goethe, la neige sur les drapeaux du 1er mai et les vers de
Baudelaire récités au professeur Halbwachs mourant resteront avec moi pendant encore longtemps.