Je fais partie, parmi bien d'autres, de ceux qui ont connu la prison et qui ont fui l'horreur pour rassembler des forces dans le no man's land de l'exil ; mais le monde nous a reçus en nous assénant la gifle d'une réalité inconnue.
Amour et haine. Vie et mort. Secret et révélation. Tout en même temps et sans âges. C'est ça, la mer...
C'était un coquillage fou. Un mollusque géant qui n'existe que dans les mers australes. Je le sortis du sac et le collai à mon oreille. Oui. Aucun doute. C'était l'écho violent de ma mer. La voix rauque et sèche de ma mer. Le ton éternellement tragique de ma mer.
"Ils aspiraient la mer avec des tuyaux d'environ deux mètres de diamètre. Ils sortaient tout, en provoquant un courant qu'on a senti sous notre quille, et après le passage de la suceuse la mer n'était plus qu'une espèce de soupe noirâtre et morte. Ils sortaient tout, sans s'arrêter à penser aux espèces interdites ou sous protection. La respiration presque paralysée par l'horreur, nous avons vu plusieurs bébés dauphins se faire aspirer et disparaître.
"Et le plus horrible, ç'a été de constater que par un trop-plein fixé à l'arrière ils rejetaient à l'eau les déchets de la boucherie.
"Ils travaillaient vite. Ces bateaux-usines sont l'une des plus grandes saloperies inventées par l'homme. Ils ne vont pas sur les bancs. La pêche, ça n'est pas leur affaire. Ils cherchent la graisse ou l'huile animales pour l'industrie des pays riches et, pour arriver à leurs fins, ils n'hésitent pas à assassiner les océans.
Nous marchâmes en silence. Un de ces silences qui sont la meilleure forme de communication. Et en arrivant à la pension, nous savions que nous pouvions avoir confiance l'un en l'autre.
p. 77
Je fais partie, parmi bien d'autres, de ceux qui ont connu la prison et qui ont fui l'horreur pour rassembler des forces dans le no man's land de l'exil ; mais le monde nous a reçus en nous assenant la gifle d'une réalité inconnue.
La barbarie militaire locale n'était pas différente des autres barbaries en uniforme, et nous avons peu à peu découvert que nos petits rêves étaient égoïstes. Nous nous étions convaincus que nous étions capables de chasser les ennemis de la justice en les forçant à lutter sur un terrain que nous pensions maîtriser mais, au fond, et par commodité, nous les laissions continuer à fixer les règles du jeu.
p. 75
-Pas de chance. C'est une femelle. Et grosse, avec ça.
A la proue, Don Pancho désarmait le canon et, après avoir arrimé de nouveau le rouleau de corde, il nous a rejoints au poste.
Je ne comprenais pas comment ils avaient pu voir le sexe du cétacé et deviner qu'elle attendait un petit.
- Ça se voit à la manière de faire surface : lentement et le corps presque à l'horizontale, a expliqué le Basque.
- Et on ne chasse pas les femelles ?
- Non ; c'est interdit. Personne ne tue la poule aux oeufs d'or, a dit Don Pancho.
p. 36
Les chilotes ont mis deux canots à la mer, les ont chargés des barils que j'avais vus dans l'entrepont, pour les transporter dans la construction de bois qui dominait la crique. C'était le poste, et on voyait tout autour des formes qui, à première vue, ressemblaient à des troncs pétrifiés.
Le Basque m'a invité à descendre à terre et j'ai découvert que ces troncs étaient les ossements de baleines qui avaient été dépecées sur la plage de galets et de coquillages.
- Ça vous impressionne, petit ? Sûr que cette partie-là n'est pas dans les romans. C'est la destination finale des baleines. On les harponne d'abord avec le canon pour être certains de les tenir, on les achève aux harpons à main, on les remorque jusqu'au poste, et les couteaux entrent en action. Tout ce qui peut servir est salé et va dans les barils. Ce qui reste, c'est pour les mouettes et les cormorans.
p. 33~34
Je pensais qu'après vingt-quatre ans d'absence je revenais au monde du bout du monde.
p. 14
"La souveraineté est un mouchoir inventé par les militaires pour essuyer leur morve".