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Critique de mercutio


Considérer le Marchand de Venise comme une diatribe antisémite me semble relever à la fois de l'évidence, de l'anachronisme et de la myopie.
Presque de la même façon qu'on verrait dans La Mégère apprivoisée un pamphlet misogyne … l'anachronisme en moins… quoique...

En effet, à première vue, le Marchand de Venise est un violent réquisitoire contre les Juifs, représentés par Shylock.
A seconde vue et avec une paire de lunettes il se lit plutôt, selon moi ,comme un plaidoyer pour une plus grande justice à leur égard. Doit-on dire que Shakespeare, en ayant la main aussi lourde, a ou n'a pas facilité la tâche de son public, aujourd'hui comme hier?

L'évidence
Elle brille dès le sous-titre, racoleur- il faut bien vivre-: "La très excellente histoire du marchand de Venise - Avec l'extrême cruauté du Juif Shylock envers ledit marchand dans son dessein de couper exactement une livre de sa chair; et l'obtention de Portia par le choix entre trois coffrets".
Prudent, l'auteur amende dans la foulée l'impression fâcheuse que pourrait produire la formule en qualifiant la pièce "histoire comique du marchand de Venise".
On imagine sans peine que la représentation de la cruauté d'un Juif ne peut qu'attirer la foule chrétienne de l'époque et ce d'autant plus qu'on lui promet qu'elle en rira.
L'intrigue se noue dès lors autour du contrat de prêt que Shylock fait signer au marchand Antonio. S'il ne peut rembourser, Antonio s'est engagé à accepter la clause imposée par Shylock stipulant lui prélever une livre de chair. Lorsque l'échéance inéluctablement arrive, il faut la subtile argutie développée par Portia -la chair, mais pas de sang- pour sauver le marchand du charcutage.
L'allusion au "ceci est ma chair, ceci est mon sang", un des points d'accrétion de la divergence entre le judaïsme et le christianisme, me semble évident.
Tout au long de la pièce, les chrétiens sont les bons, le juif est l'affreux. le jeu sur les deux sens du mot "gentil", sens courant de l'adjectif d'une part, dénomination des chrétiens pour les juifs d'autre part- est répété à l'excès dès que l'occasion s'en présente.
Enfin les deux seuls Juifs présents, Shylock et sa fille Jessica, sauvent leur sort mal engagé en se convertissant à la requête et la satisfaction de tous, la disparition de toute diversité religieuse résolvant de fait toute opposition.
Certains s'en amuseront surement. Plus antisémite, tu meurs.

L'anachronisme
Au XVIe siècle , avant et longtemps après, les juifs sont honnis par les chrétiens, probablement tout particulièrement dans le peuple, en tant que déïcides et aussi, probablement tout particulièrement dans la noblesse toujours à court d'argent, comme usuriers..
Le christianisme , après ses débuts difficiles et les persécutions du 1er au 3ème siècle, est devenu religion d'état avec Constantin et s'est imposé partout en Europe. le rapport de forces avec le judaïsme s'est progressivement inversé et les Églises chrétiennes, se vengeant des mauvais traitements subis du fait des Israélites à leur début, en sont venues à quasiment dogmatiser la culpabilité de tous les Juifs dans la mort de Jésus. Autant dire que toute l'Europe chrétienne est antisémite, par constitution et par éducation, sinon par conviction raisonnée. Réagir avec la mentalité d'aujourd'hui à ce qui, très vraisemblablement, apparaissait à l'époque de Shakespeare comme ordinaire et allant de soi, serait un anachronisme.

La myopie
Pour autant, les esprits éclairés ont existé de tout temps.
Il ne fait pas de doute, et le Marchand de Venise en est une claire illustration, que Shakespeare appartient à cette catégorie.
Si en Shylock il caricature le Juif selon les canons encore utilisés aujourd'hui, c'est peut-être parce que, pour vivre, il lui faut s'assurer que le public viendra nombreux et appréciera le spectacle. C'est surtout pour le besoin de sa démonstration.
Car il ne renonce nullement assurer une défense des Juifs, qu'on pourrait qualifier de "neutre au pire", en revendiquant pour eux le droit d'être considérés comme les autres, c'est-à-dire ni mieux ni pire que la foule des chrétiens. C'est en somme exactement l'argumentation de Shylock pour exposer et justifier sa position (I, III et IV, I).
La géniale trouvaille -l'extrême cruauté- de la livre de chair due donne évidemment dans l'excessif et pue la caricature mais elle est à mettre en balance avec la cruauté sociale extrême dont pâtissait les Juifs. Elle n'est que l'image réfléchie par le miroir du théâtre de l'inhumanité dont les chrétiens européens faisaient preuve dans leurs rapports quotidiens avec les juifs.
Moins antisémite, tu non-existes.
Je ressens une parenté avec Montaigne, se tenant toujours loin à la fois des buts grandioses et des troubles du discernement et s'appliquant à rétablir ce que lui dicte son amitié pour l'humanité considéré par le bon bout de sa raison.
Le prisme du théâtre corrige la myopie, n'est-il pas là pour ça?

Shakespeare a aussi voulu distinguer un second thème important de la pièce par la mise en exergue dans le sous-titre rappelé plus haut de "l'obtention de Portia par le choix entre trois coffrets".
Si on ne peut exclure que l'intention soit d'alimenter la curiosité du public avec une histoire de coffrets (qui s'avèreront montrer le principal, mais cacher l'essentiel) , il semble toutefois qu'à cette fin la livre de chair eût pu largement suffire. Je suis tenté de voir dans cette proximité voulue le rapprochement malicieux de deux conditions alors malmenées, dans des registres certes différents mais pas sans certains points communs, la condition des Juifs et celle des femmes. Là encore, le moyen utilisé par l'intrigue - la mise en loterie de Portia par son père- ne fait pas dans la dentelle. le parallélisme des destins -Shylock converti chrétien, Portia mariée à celui dont le premier acte posé fut de renier l'engagement pris auprès d'elle la veille ne laisse pas de pointer un parallélisme de combats, guerre des religions, guerre des sexes.

"Histoire comique" a-t-il cru bon de préciser. Merci Willy, c'eut été trop bête de commettre par inattention une grossière erreur de classification posthume.
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