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Critique de Osmanthe


Izumi Shiga est né à Minamisôma, une ville proche de Fukushima. Depuis la double catastrophe du tsunami et de l'explosion de la centrale nucléaire, il écrit sur cette déchirure. J'ai trouvé beaucoup d'intérêt dans le court roman qu'il nous livre ici, 120 pages de gros caractères. Nous sommes deux semaines après l'accident, et l'histoire se déroulera sur les quelques semaines suivantes. Le narrateur, Yôhei, est l'un des rares habitants errant encore à Okuma, ville d'implantation du réacteur n°1 de la centrale qui a explosé. Il revient prendre soin de sa vieille mère, qui tenait dans sa maison un salon de coiffure. Sa conscience s'éteint doucement, elle ne s'est pas rendue compte du drame qui a ravagé tout le paysage alentour. Yôhei revient aussi sur les lieux de ses premiers émois amoureux et d'un autre drame, personnel celui-ci : la maison, abandonnée, de la famille de son amoureuse d'enfance, Misuzu. Dans la cour, dans une cage, un pauvre chien est abandonné à son triste sort. Il va le nourrir…mais son souvenir, entêtant, ressurgit : d'abord avec éclat, cette cage était à l'époque occupée par un paon. L'animal mythique finira bien par faire la roue tant désirée, mais il prendra son envol. En voulant le rattraper, Misuzu se fera renverser par une voiture et perdra la vie, sous les yeux de Yôhei. La mère de Yôhei saura, mais ne dira jamais rien, la famille de Misuzu ne saura rien de la responsabilité de Yôhei, qui avait involontairement laissé s'échapper le paon.
Yôhei va arpenter les alentours, ressentir la dévastation du paysage extérieur, ces bateaux, voitures amoncelés pêle-mêle dans les terres largement inondées, les infrastructures, ponts, pylônes électriques, routes, détruites, et les marais souillés, là où il allait jadis attraper des grenouilles pour nourrir le paon de Misuzu, et l'inciter à faire la roue…dévastation de son paysage intérieur aussi, quand cette déploration s'accompagne d'un terrible sentiment de perte, et de culpabilité individuelle, mais aussi collective. Il lui vient à l'esprit que cette image du paon, animal quasi-divin dans son imaginaire d'enfance, s'échappant de ses mains pour entraîner le drame de la mort de Misuzu, c'est aussi la divine énergie nucléaire, trop encensée comme miraculeuse, et que l'homme n'a pas su dompter, entraînant cette terrible issue.
Mais la vie, et l'espoir, vont pointer leur nez au milieu du désastre, lorsqu'il rencontre Reiko, membre d'une association qui nourrit les chats abandonnés. Ils vont se parler, se rapprocher, avec pudeur. Reiko divorcée et ayant elle-même perdu sa mère, prendra la main de la mère de Yôhei quelques jours avant qu'elle ne décède. Pleine de regrets de ne pas avoir honoré dignement le deuil de sa propre mère, elle aidera Yôhei aux opérations d'incinération de sa mère.
Ce livre paru en 2017 au Japon est un très beau livre, à l'esprit bien japonais : le coeur est pudique, solitaire, sobre, simple. L'émotion est là, mais pas trop, la mort est dans l'ordre des choses, elle est peut-être une libération. L'impermanence des choses est encore de mise, la roue, et pas celle du paon, tourne. Au malheur peut succéder un espoir de renaissance…à condition, sans doute, que l'homme soit plus modeste par rapport à la nature, et à l'étendue de ses pouvoirs. Les deux héros se frôlent à peine, les sentiments naissent mais sont tout en retenue, ces deux âmes solitaires semblent bien s'être trouvées, mais l'auteur n'en fait pas trop. C'est un livre avant tout sur la culpabilité, et la rédemption, qui passe aussi par le respect pour ses anciens, ses parents, le cérémonial autour de la mort et le salut des âmes, humaines, mais aussi animales, les animaux étant particulièrement à l'honneur dans cet ouvrage.

Cette lecture a été une heureuse surprise, comparé aux productions souvent de qualité médiocre à mon goût des derniers prix Akutagawa. J'ai trouvé une réelle épaisseur dans ce roman, alliant un ton juste, une poésie et un message intelligent. Peut-être tient-on là un grand écrivain japonais en devenir ?
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