Un homme déambule dans une petite ville fantôme du Nord du Japon, au bord de l'Ocean Pacifique. L'explosion de la centrale nucléaire de Fukushima située à proximité a tout dévasté. Lui, il y est resté, pour sa mère invalide, avec quelques chiens et chats abandonnés par les ex- habitants pendant la fuite. de drôles de personnages masqués, emberlificotés dans des vêtements de protection y circulent, comme la femme de l'équipe de secours aux animaux.
Un roman qui respire l'étrange, le surréel, pourtant c'est la réalité. Une réalité que cet homme Yoshida, totalement déboussolé, peine à réaliser. Dans un paysage désolé, son passé, ses souvenirs flottent dans le cosmos, il ne sait plus lui-même où il se trouve. Se rendant dans la ville voisine pour acheter de quoi survivre , le simple fait de pouvoir faire un achat le rassure, nourrir les chiens abandonnés lui donne de façon palpable la sensation qu'il est intégré au monde.
Terrible n'est-ce-pas ? Une réalité qui pourrait être aussi la nôtre du jour au lendemain, avec tout ces centrales nucléaires éparpillées un peu partout dans le monde. L'auteur le renforce ici avec une métaphore de paon, un secret au coeur du livre.
Même avec un sujet sordide, un livre plein de grâce , de délicatesse et de sensibilité, tout ce que j'aime dans un roman japonais. Encore un livre pioché chez une amie babeliote, merci Pamplemousse.
“L'énergie atomique,....... On prône les progrès de la technique, et on a beau en connaître les dangers, on continue, sous prétexte de développer l'économie ou je ne sais quoi, on multiplie les risques, tant et si bien qu'à force tout finit par exploser....
Welcome to the Hotel California....
You can check out any time you like,
But you can never leave! “
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Izumi Shiga est né à Minamisôma, une ville proche de Fukushima. Depuis la double catastrophe du tsunami et de l'explosion de la centrale nucléaire, il écrit sur cette déchirure. J'ai trouvé beaucoup d'intérêt dans le court roman qu'il nous livre ici, 120 pages de gros caractères. Nous sommes deux semaines après l'accident, et l'histoire se déroulera sur les quelques semaines suivantes. Le narrateur, Yôhei, est l'un des rares habitants errant encore à Okuma, ville d'implantation du réacteur n°1 de la centrale qui a explosé. Il revient prendre soin de sa vieille mère, qui tenait dans sa maison un salon de coiffure. Sa conscience s'éteint doucement, elle ne s'est pas rendue compte du drame qui a ravagé tout le paysage alentour. Yôhei revient aussi sur les lieux de ses premiers émois amoureux et d'un autre drame, personnel celui-ci : la maison, abandonnée, de la famille de son amoureuse d'enfance, Misuzu. Dans la cour, dans une cage, un pauvre chien est abandonné à son triste sort. Il va le nourrir…mais son souvenir, entêtant, ressurgit : d'abord avec éclat, cette cage était à l'époque occupée par un paon. L'animal mythique finira bien par faire la roue tant désirée, mais il prendra son envol. En voulant le rattraper, Misuzu se fera renverser par une voiture et perdra la vie, sous les yeux de Yôhei. La mère de Yôhei saura, mais ne dira jamais rien, la famille de Misuzu ne saura rien de la responsabilité de Yôhei, qui avait involontairement laissé s'échapper le paon.
Yôhei va arpenter les alentours, ressentir la dévastation du paysage extérieur, ces bateaux, voitures amoncelés pêle-mêle dans les terres largement inondées, les infrastructures, ponts, pylônes électriques, routes, détruites, et les marais souillés, là où il allait jadis attraper des grenouilles pour nourrir le paon de Misuzu, et l'inciter à faire la roue…dévastation de son paysage intérieur aussi, quand cette déploration s'accompagne d'un terrible sentiment de perte, et de culpabilité individuelle, mais aussi collective. Il lui vient à l'esprit que cette image du paon, animal quasi-divin dans son imaginaire d'enfance, s'échappant de ses mains pour entraîner le drame de la mort de Misuzu, c'est aussi la divine énergie nucléaire, trop encensée comme miraculeuse, et que l'homme n'a pas su dompter, entraînant cette terrible issue.
Mais la vie, et l'espoir, vont pointer leur nez au milieu du désastre, lorsqu'il rencontre Reiko, membre d'une association qui nourrit les chats abandonnés. Ils vont se parler, se rapprocher, avec pudeur. Reiko divorcée et ayant elle-même perdu sa mère, prendra la main de la mère de Yôhei quelques jours avant qu'elle ne décède. Pleine de regrets de ne pas avoir honoré dignement le deuil de sa propre mère, elle aidera Yôhei aux opérations d'incinération de sa mère.
Ce livre paru en 2017 au Japon est un très beau livre, à l'esprit bien japonais : le coeur est pudique, solitaire, sobre, simple. L'émotion est là, mais pas trop, la mort est dans l'ordre des choses, elle est peut-être une libération. L'impermanence des choses est encore de mise, la roue, et pas celle du paon, tourne. Au malheur peut succéder un espoir de renaissance…à condition, sans doute, que l'homme soit plus modeste par rapport à la nature, et à l'étendue de ses pouvoirs. Les deux héros se frôlent à peine, les sentiments naissent mais sont tout en retenue, ces deux âmes solitaires semblent bien s'être trouvées, mais l'auteur n'en fait pas trop. C'est un livre avant tout sur la culpabilité, et la rédemption, qui passe aussi par le respect pour ses anciens, ses parents, le cérémonial autour de la mort et le salut des âmes, humaines, mais aussi animales, les animaux étant particulièrement à l'honneur dans cet ouvrage.
Cette lecture a été une heureuse surprise, comparé aux productions souvent de qualité médiocre à mon goût des derniers prix Akutagawa. J'ai trouvé une réelle épaisseur dans ce roman, alliant un ton juste, une poésie et un message intelligent. Peut-être tient-on là un grand écrivain japonais en devenir ?
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Un homme parcourt chaque jour les rues de sa ville abandonnée après la catastrophe de Fukushima.
Tous les habitants ont été évacués, lui, il est resté pour s'occuper de sa mère infirme. Ses déambulations nous entraînent à la fois dans les tours et détours de cette ville déserte, mais aussi dans ses souvenirs, ceux qui émergent à la vue d'une maison, d'une porte, d'une volière…
Ce très court roman est poétique et hypnotique, tout comme le personnage principal, nous marchons au hasard, nous profitons du calme, de ce moment silencieux comme d'un temps de recueillement, de deuil, mais c'est aussi une pause avant la suite, un avenir incertain mais pas forcément vain.
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Cet été-là, je l'avais passé à ruisseler de sueur sous un soleil de plomb, écartant les herbes et les feuilles dans les rigoles des rizières ou les ruisseaux, à la recherche de grenouilles. A bout de souffle, je m'arrêtais un moment pour regarder le ciel, le vent traversait les rizières, soufflant au-dessus de ma tête dressée au milieu de la mer des épis verdoyants. Le bruit des vagues résonnait lourdement dans ma tête vide de pensées.
Si un orage me surprenait, j'allais m'abriter sous un arbre et je regardais la rizière éclairée par la lumière verdâtre des éclairs. La forêt d'un vert dense où s'enchevêtraient les feuillages bruissait sous le vent mêlé de pluie, comme un être étrange tremblant de tous ses membres verts. J'étais trempé jusqu'aux os, les grenouilles s'agitaient dans leur boîte en plastique. Je savais bien que si le tonnerre grondais, je devais m'éloigner des arbres, mais je n'avais aucun autre endroit où me réfugier. La seule chose que je pouvais faire était d'essayer de me protéger.
Les souvenirs que j'avais oubliés se bousculaient dans ma mémoire. Cependant, ils ne se recoupaient pas avec le paysage qui s'offrait à mes yeux. Ils flottaient dans le cosmos, je ne savais plus moi-même où je me trouvais. En fait de nostalgie, mon coeur se serrait jusqu'à éclater. Les larmes m'ont assailli. Il n'y avait personne pour me voir mais je me suis accroupi pour cacher mon visage en larmes, j'ai mis la main sur mes yeux. Un long moment, je suis resté à sangloter sans bruit, à cause du paysage disparu à jamais.
Welcome to the Hotel California.*
Ce n’est qu’au collège que j’ai compris le sens des paroles. Il s’agit du destin, le destin qu’on accepte. Il est toujours possible de quitter l’hôtel, mais il est impossible de partir.
*La fameuse chanson des Eagles
Reiko a mis le chaton dans un panier qu'elle avait apporté et elle est sortie de la maison. Le soleil du crépuscule brillait sur la ville déserte avec un éclat blanc. Après avoir posé le panier sur le siège, comme elle allait s'installer au volant, je l'ai attirée contre moi sans un mot. Elle ne m'a pas repoussé.
"Je reviendrai bientôt." Le lobe de mon oreille a senti le souffle tiède de sa voix.
Quand j'ai levé les yeux tout en respirant l'odeur de ses cheveux, un paon à la cime d'un poteau électrique, enveloppé du rouge pâle des nuages, pointait un regard perçant vers le sol, puis il a gonflé ses ailes comme s'il allait fendre l'air du soir pour venir s'y poser.
Le chien levait le museau, cherchant à identifier le visiteur. Il hésitait, ne sachant s'il devait aboyer devant l'intrus ou agiter la queue en face de son sauveur. De toute façon, je n'avais rien sur moi à lui donner à manger. Sans nourriture, il ne devait pas y avoir grande différence entre les bons et les mauvais. J'ai regardé l'animal, d'un air de lui dire de ne rien attendre de moi. Parce que tu sais, mon vieux, moi non plus, depuis le sinistre, je ne mène pas une vie digne d'un être humain.
A-t-il lu dans mes pensées, j'ai surpris dans ses yeux une lueur de renoncement. Avançant sa tête pitoyable, il s'est traîné vers l'étang, a posé ses pattes sur la bordure en pierre et s'est penché pour boire. Il était tellement décharné que la peau de ses joues ballotait. Une corde attachée à un perchoir était passée à son collier. S'il fallait que les gens abandonnent leur animal, au moins, qu'ils lui laissent sa liberté, bon sang ! Est-ce qu'ils aimaient mieux laisser crever leur chien plutôt que d'avoir des comptes à rendre s'il se mettait à errer partout ? L'eau a dessiné des cercles autour du museau noir et le ciel qui se reflétait dans l'étang s'est déchiqueté. Il ne faisait pas de doute que l'eau était une véritable soupe d'éléments radioactifs.
Depuis la catastrophe, je n'avais jamais emmené ma mère dehors. A présent qu'elle était morte, il était peut-être un peu tard, mais je voulais lui montrer la rue au moins une fois avant qu'elle n'aille dans l'autre monde.
Le quartier avait les couleurs de l'aurore, comme habité par une présence divine. Au-delà de la gare, le soleil venait de se lever sur la mer et une brume dorée brûlait d'une chaude lumière. Les montagnes derrière moi étaient revêtues de couleurs vives, quelques nuages roses flottaient ça et là dans le ciel. Le visage inondé par la lumière du soleil levant, ma mère m'a semblé heureuse. La tête inclinée sur sa poitrine, les yeux fermés, elle avait un visage dépouillé de tout regret, lavé de toute souffrance.