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Critique de Escapist


Ce livre est l'histoire d'une vie, celle d'une petite famille limousine battante et bravant les âges dans les douleurs du XXe siècle. Et comme pour tout le monde, cette vie est une longue suite de bonheur et de déboires, de succès et d'échecs, traînant son lot de malheurs. Une histoire sans en être une en définitive. Aucune trame ne vient conduire cet ouvrage qui semble s'écrire de lui-même et pourtant si cohérent. Et c'est là où réside toute la force de se livre qui laisse une étrange sensation derrière lui, à la fois un arrière-goût amer et un petit rayon de soleil dans le coeur. Signol signe ici un véritable conte romancé, parfois cruel mais toujours d'une équitable justesse.

Tout débute au nouvel an 1900, au fin fond d'un pays protégé par son blanc manteau scintillant sous un rai de lumière. le cadre pittoresque est déjà posé et l'on se prend aussitôt d'affection pour François et Matthieu, ces petits personnages hauts de trois pommes, qui semblent promus à une vie intense et mouvementée. Pourtant la dureté de la vie rattrape ce magique moment, et rapidement le charme de ce nouvel an fait place aux rudesses qu'exige la vie paysanne. On semble remonter au XVIIe siècle tant les conditions de vie sont miséreuses pour cette famille des Barthélémy dont tous les membres brillent par un éclat de pureté. Malgré une vie difficile, chacun sourit de tout son coeur tandis qu'un solide lien tissé d'amour les unis les uns aux autres. Les parents, qui peinent à joindre les deux bouts, se sacrifient pourtant pour la noble cause du bonheur de leurs enfants tandis que ceux-ci n'économisent par leur force pour leur venir en aide. Dans cette ambiance misérable, les petits plaisirs de la vie n'en sont que plus saisis à leur juste valeur, dépeints à merveille comme un magnifique tableau que dresse Christian Signol. Hélas, le malheur frappe plus fortement cette famille dont les membres se séparent, François tout d'abord afin de servir dans une ferme lointaine puis son père, brutalement arraché à la vie. Par son écriture simple et pourtant percutante, Signol ne cajole pas ses personnages qu'il traite avec la plus parfaite impartialité. Il ne fait que retracer les tourments d'un siècle dévasté et dévastateur par le biais d'une famille. La qualité de ce livre réside en la sobriété de l'histoire et des descriptions qui favorise l'émulsion des sens. Pitié mais aussi colère et admiration se succèdent tour à tour au fil des aventures de la famille Barthélémy.

Ainsi François, que l'esprit rêveur et la fragilité physique semblaient destiner à un brillant avenir, se retrouve à apprendre le sens véritable de la vie paysanne dans une famille accueillante austère et ne ménageant jamais sa sévérité. Comme chaque personnage, il va alors s'adapter à son environnement et évoluer avec force et caractère. C'est ainsi qu'il va ensuite subir l'appel au service militaire, période qui dévoilera encore plus son esprit pacifiste et son amour pour la poésie des paysages de son enfance. Son frère, Matthieu, va également se faire l'image stéréotypée des travailleurs agricoles en ce début du XXe siècle, luttant corps et âme pour assurer un minimum de confort à sa mère, désormais frappée par les affres et le désespoir qu'infligent inévitablement le veuvage et la mort prématurée d'un nourrisson. Au décès de cette dernière, son dernier lien d'attache à cette terre limousine serait désormais coupé et Matthieu volera de ses propres ailes vers les sentiers de la liberté afin de s'assurer un avenir meilleur. C'est ainsi qu'il atteindra les terres de l'Algérie, recelant des richesses infinies dont le jeune homme s'éprendra très rapidement, goûtant aux plaisirs d'un pays luxuriant où il lestera son coeur.

Enfin, la dernière enfant de la fratrie, la jeune Lucie, va également suivre une série d'aventures au service d'une famille prospère et goûtant aux joies nouvelles du siècle. Se découvrant une passions éperdue pour le fils de ses recruteurs et récoltant le fruit de ses amours secrets, Lucie va également évoluer dans ce monde n'épargnant personne. Passant de la petite fille exécrable à une belle jeune femme au coeur d'or, elle va souffrir à plusieurs reprises et gagner en assurance. Progressivement, elle sera le modèle par-excellence de la mère aimante, prête à subir milles épreuves afin d'assurer la survie et le bien-être de son enfant.

Par le biais de ces trois personnages principaux, nous découvrons le XXe siècle par trois regards et trois chemins différents, bien que toujours mus par une bonté d'âme sans pareil. Des difficultés de tenir un fermage, des douleurs infligées par le service militaire, de l'incroyable découverte d'une terre exotique et de l'opulence des grandes familles de l'époque, rien n'échappe au regard acéré mais toujours juste de Signol. Qui plus est, ces trois personnages sont toujours liés entre eux par cet amour infaillible et cette volonté d'assistance et protection mutuelles, quand bien même la distance ne cesse de les éloigner les uns des autres.

La vision du XXe siècle au travers d'une famille humble se fait naturellement et le lecteur découvre ce siècle par une autre approche, bien plus intéressante. Ainsi, inévitablement, la menace de la guerre est abordée. On constate alors que cet événement ne portait pas la même symbolique qu'on lui connait pour les citoyens reculés et la prise de conscience de la guerre ne fut réelle que lorsque l'enrôlement des troupes franchis le sommet des montagnes isolées de l'Auvergne. Effroi, souffrance, terreur, privation... les personnages subissent un incessant flux de malheurs alors même qu'ils s'étaient enfin établis dans une vie familiale. La guerre de 14-18 est presque vécue au jour le jour avec une incroyable réalité. Elle est abordée par le biais de trois regards: celui de François, sur le champ de bataille, celui de sa femme Aloïse et de Lucie, restées à l'arrière mais endurant les épreuves quotidiennes et rongées par l'angoisse de voir l'être cher disparaître, et enfin par celui de Matthieu, éloigné de la France et dont les nouvelles du continent ne lui parviennent qu'avec parcimonie. Pourtant la guerre est omniprésente et son traitement remarquable. Signol décrit merveilleusement et avec une intensité profonde cet univers ravagé, peignant fébrilement un monde tortueux placé sous le signe de la terreur, rendant avec une vibrante réalité l'éclat des obus, l'odeur incessante de la mort, la folie irraisonnée qui consume l'âme pure, le massacre des innocents… Jamais guerre ne fut rendue plus vivante. C'est surtout pendant les périodes de permissions accordées à François que l'on prend conscience de la perte d'esprit des soldats. La guerre n'est pas abordée par son côté politique dans ce livre mais seulement par son quotidien et sa violence mais aussi le sentiment que cette guerre que l'on prévoyait courte, rapide et victorieuse ne se terminera jamais. En vivant presque au quotidien avec les personnages, et en connaissant malgré tout l'Histoire, on n'en vient à se demander si ce massacre mondial prendra un jour fin. Et lorsque c'est le cas, c'est pour constater un paysage de désolation et des âmes tourmentées, affligées et traumatisées par une brutalité sans égale. Pourtant, nos protagonistes, malgré des moments difficiles, parviennent à surmonter cette douleur en combattant ardemment pour se soutenir les uns les autres.

L'entre-deux guerres survient alors comme une période de renouveau où chacun se reconstruit, cherchant à fonder sa famille. François aide sa femme Aloïse à recouvrer ses esprits alors que lui-même tente de fuir ses souvenirs du carnage et s'implique corps et âme dans le travail agricole. L'importance d'acquérir de la terre pour le paysan prend tout son sens dans cette passion acharnée dont témoigne François. Son frère Matthieu, invalide de guerre, doit faire face aux rebellions naissantes tout en cherchant à se construire une famille et en s'investissant avec toujours plus d'ardeur. Enfin, Lucie tente également de survivre à l'éloignement de sa fille en s'embarquant dans une passion amoureuse avec Jan, un jeune allemand qu'elle suit finalement dans son pays natale, bien qu'avec une déchirante nostalgie de la France. Tous portent encore le souvenir de leurs parents en eux, cherchant à vivre une vie meilleure, celle que leur père et leur mère tentaient à tout prix de leur offrir ou de leur promettre dans un avenir meilleur. Noël représente encore, après toutes ces années, un pur moment de retrouvailles, chassant les malheurs du temps et instaurant une véritable atmosphère de bonheur. Ces Noëls blancs passés à l'abri, dans un terroir reclus et intemporel, sont le symbole d'une innocence retrouvée qu'aucune infortune ne peut atteindre. Ils sont les vestiges durables d'un moment de détente, encore plus précieux du fait de leur brièveté.
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