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Critique de fuji


Cambodge 1971.
La famille Inn vit heureuse, le père Vichéa est cadre à l'Institut d'Agriculture, la mère Phusati est professeur de littérature au Lycée français Descartes à Phnom Penh, Saravouh à 11 ans et Dara sa petite soeur 9 ans. Leur nounou s'appelle Mahom elle est la clef de voûte de cette famille.
La mère nourrit ses enfants d'histoires avec de belles références littéraires, le père et le fils font régulièrement des parties d'échecs. Se sont des liens tissés qui seront éternels et oh combien salvateurs.
Saravouh a un imaginaire très personnel : « j'ai construit un pays à l'intérieur de ma tête. » il l'appelle « le Royaume Intérieur. »
Avec l'arrivée des Khmers rouges les jalousies s'enflamment et les complots sont ourdis contre cette famille.
« C'est l'épouse de Vichéa, Phusati. Elle sourit, elle rit. Leurs enfants sont magnifiques. Une douceur émane du garçon, magnétique, quant à la fillette c'est une flamme —énergique, illimité, impondérable comme une flamme. Il est tout de suite persuadé qu'aucune famille sur terre n'a jamais été aussi heureuse. »
Lon Nol accède au pouvoir les rafles se multiplient. La vie de cette famille, comme celle de beaucoup d'autres se modifient. La peur est là constante, les difficultés s'accumulent. Voisins et amis disparaissent.
« Ces gens-là n'ont-ils pas été arrêtés parce qu'ils étaient Vietnamiens ?
Chamroun s'écrie :
— C'est pareil, mon pauvre vieux ! Vietnamiens, catholiques… Les uns s'agenouillent devant les Chinois, les autres devant les Français. Tous au final ne savent rien faire à part lécher le cul du Parti Communiste ! Lon Nol a raison, il faut…
Il embrasse la tablée du regard.
— Il faut les tuer. »
Le quotidien de la famille Inn se délite, c'est Dara la plus jeune qui me ressent le plus tôt et qui accuse de ces changements dans tous ses actes.
Un soir un homme en complet bleu et deux soldats frappent à leur porte.
Tout bascule.
Des semaines plus tard Saravouh reprend connaissance, le crâne défoncé, dans une vieille cabane, dont le toit fuit, il est soigné par une vieille femme. Entre léthargie et souffrances sont esprit vogue vers ceux qui sont absents : ses parents et sa soeur.
Il se raccroche à son Royaume Intérieur, pour survivre dans ce monde si loin de son éducation et de l'amour qu'il a reçu…
Un monde brut.
Les mois passent, il est enfin apte à partir. Il part seul, franchit le Mékong une nuit.
« Partout, des corps découpés et l'odeur, dans la bouche, acide, l'odeur molle et organique, une gelée de merde sous la langue. »
L'auteur sait nous faire partager l'horreur qui règne dans un paysage flamboyant où dame nature présente ses plus beaux atours et dissimulent si bien ses pièges. le lecteur ne peut être que révulsé à l'idée de ce que vit ce petit garçon, qui n'a d'enfance que l'âge.
Saravouh avance dans ce chaos, il ne doit pas se laisser engloutir par les marécages, savoir jauger les rencontres : milices ou fuyards comme lui, savoir se préserver de la faune omniprésente.
Cette histoire d'errance a la force démultipliée par le savoir de l'auteur sur l'adulte qu'est devenu Saravouh, les traces qu'il a suivi au Cambodge, et ce que nous lecteurs ressentons de ce parcours si exceptionnel.
Une mémoire nous est transmise, celle de la guerre qui fait inexorablement ressortir ce qu'il y a de pire chez certains êtres.
L'écriture par sa fluidité, ses mille détails adoucit les images, met des couleurs et autres baumes.
C'est également un hymne à la littérature, cette nourriture qui a offert à cet enfant des liens, des forces, des clefs auxquelles se raccrocher pour ne pas mourir.
Son esprit empli de cette antienne : « il faut trembler pour grandir », citation de René Char que lui a apprise sa maman.
A 11-12 ans Saravouh découvre une humanité aux multiples facettes.
A l'âge de l'innocence, de l'insouciance il fait un apprentissage des plus abrupt.
Heureusement certaines mamans sont des « châteaux ».
« Les mots sont des hameçons envoyés par les poètes pour creuser des sillons sous le soleil, la mer, les cimes de l'Himalaya, les jardins multicolores, les horloges mécaniques. Les mots dansent partout. Ils travaillent. Ils organisent des batailles. La vie, les étoiles, la peau, le silence, ce sont des mots. Ce sont des hameçons. Il suffit d'écouter. »
A ce livre si troublant quelle plus belle conclusion si ce n'est de reprendre ce paragraphe.
Comme l'auteur je vous invite à visionner : "Odysseus'Gambit", bouleversant.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 03 juin 2020.

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