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Critique de Scribe


Avant la longue flamme rouge de Guillaume Sire
Pourquoi ai-je choisi de lire ce livre Avant la longue flamme rouge de Guillaume Sire, non pas parce qu'il venait de recevoir Prix Orange du livre, mais parce que mon parcours m'a conduit en 1993 au Cambodge et qu'il me paraissait important, de connaître via ce témoignage, une famille Cambodgienne qui a été témoin du tout début de ces années de feu et de sang sous le régime de Lon Nol puis des khmers Rouges. C'est cela, la trame de cette histoire vraie, que nous rapporte Guillaume Sire. Cette épopée sanglante vue par le regard d'un enfant ; Savarouth qui en 1971 à 11 ans, vit dans une famille catholique, né d'un père travaillant à la Chambre d'agriculture de Phnom Penh et d'une mère enseignant la littérature au Lycée Français René Descartes , avec sa petite soeur Dara âgée de neuf ans. Dans cette capitale assiégée, Savarouth s'est construit un pays imaginaire : le Royaume Intérieur, dans lequel il s'évade du monde extérieur beaucoup moins radieux. Savarouth ne veut pas croire à la guerre civile qui fait rage. Il écoute avec passion toutes les lectures lus par sa mère, L'Odyssée, Peter Pan ou les poèmes de René Char pour ne citer que ces livres là.
Mais un jour, la guerre frappe à la porte de cet appartement et un homme en bleu, sous le prétexte de les protéger les emmènent en dehors de Phnom Penh vers une mort planifiée.
Savarouth séparé de ses parents et de sa soeur, réfugié dans la forêt sur les rives du Tonlé Sap est retrouvé blessé par une balle à la tête, inanimé par une vieille femme qui prendra soin de lui et le soignera. Mais Savarouth est seul. Il n'a qu'une obsession celle de retrouver sa famille. «Il faut trembler pour grandir», lui lançait sa mère. Ce vers de René Char ne quittera pas l'esprit de Saravouth, tout au long de cette quête, inlassablement, malgré les risques immenses qu'il va courir. La violence innommable des soldats sanguinaires de tous bords ceux de Lon Nol comme ceux que l'on désignera comme Khmer Rouge. Malgré les kilomètres parcourus , traversant les forêts hostiles, en navigation sur le Tonlé Sap et le Mékong sous le fracas des tirs. Malgré des rencontres avec une femme médecin et le père Michel d'un institut religieux , Savarouth n'abandonnera pas, l'idée de retrouver ses parents et sa soeur. A aucun moment, il ne croit qu'il leur ait été arrivés malheur. Tout au long de cette odyssée, Guillaume Sire nous invite à pénétrer dans l'intime réflexion de Savarouth, notamment lorsqu'il fait état des cartographies tenues au jour le jour lors de ses recherches sur Phnom Penh ou ses retours dans son monde intérieur. Savarouth au fil des pages grandit trop vite pour un enfant et démontre à bien des égards un courage exceptionnel !
Par son regard, il nous fait vivre la beauté de son pays le Cambodge, les odeurs des fleurs, des fruits, les atmosphères paisibles des vieux quartiers ; mais aussi toute la tragédie du Cambodge : ses charniers, ses exécutions sommaires, ses viols par les soldats à plusieurs sur une jeune fille, ses odeurs dans les lieux de prostitution ou drogue et alcool s'entremêlent.
Savarouth nous rappelle également, le courage des médecins, des infirmières et des prêtres restés au Cambodge pour soigner et sauver des habitants condamnés à une mort programmée, pour être catholique, communiste, ou tout simplement fonctionnaire, ou ayant une quelconque autorité, ou faisant l'objet d'une liste établi par les pythies entourant Lon Nol président de la République Khmer. Il dit aussi, les enfants dans les orphelinats, a qui l'on ne donnait pas de prénom, pour qu'ils puissent être adoptés par des familles, venant en catimini les rechercher. «  Prenez un nourrisson et rentrez. Il faut partir, demain Phnom Penh va tomber. le nourrisson à beau être jeune , il est vif. Incapable de le maîtriser la jeune femme est obligée de le passer à deux hommes. Marie Vignon arrive, elle prête main forte au père Michel et au frère Bruno pour essayer de consoler les enfants qui, tous ont compris, les plus âgés, ont fondu en larmes. Prenez moi dit Vanak, hurle-t-il en Français . Au nom de Dieu, au nom du Christ prenez-moi. Je vous en supplie, Notre Père qui es aux cieux! Vive la France ! Il essaye d'ouvrir la portière, mais la femme a enfoncé les verrous. »
L'on voit aussi dans ce livre Avant la Longue flamme rouge toute l'obstination de Savarouth , sa solitude, sa débrouillardise pour gagner quelques sous, cirant les chaussures des soldats et les faisant reluire avec des bas de soie collectées auprès des prostituées ou jouant aux échecs.
Puis se sera le départ contraint et forcé de Savarouth et Vanak son ami dans un hélicoptère. «  Attention roquette ! » C'est la bataille finale, la chute de Phnom Penh. le 26 mars 1975 le babylift atterrit à Bangkok. Savarouth est confié à la famille catholique du New Jersey Les Boisselles et Vanak dans un foyer à Seattle.
L'on retrouvera Savarouth à des compétitions d'échecs ou il gagne souvent.
Un jour à Atlanta à cause de son style de jeu soviétique, quelques uns de ses partenaires le surnomment Saravouthski. En 1982 il s'inscrit en littérature à l'université de Rutgers et obtient le deuxième fauteuil de violoncelliste de l'orchestre symphonique du New Jersey. En 1990 il enseigne la littérature comparée à l'université Concordia de Montréal. Il se marie à un enfant Sébastien. « A sa naissance Savarouth est près du berceau. Un sentiment refait surface en lui. le pire d'entre eux . La peur, la peur nue. A compter de ce jour il ne veut plus rien faire à part rester près de l'enfant, s'occuper de lui. » En 2004, Guillaume Sire rencontre à Montréal Saravouth, il jouait de la guitare.
Il m'a demandé dit Guillaume Sire, à la fin de la chanson «  Have you read The Odyssey ? »
Saravouth ne retournera pas au Cambodge. «  Il a survécu à la guerre, mais rien en lui de ce qui était davantage lui-même n'a survécu, sinon dix-neuf éclats d'obus » , révélés par un IRM, logés à l'intérieur de son cerveau, impossible à opérer. Saravouth, comme des milliers de Cambodgiens ne se remettra sans doute jamais de ce cauchemar-là que fut la guerre du Cambodge.
Un court métrage lui est consacré : il vous suffit d'écrire Odysseus' Gambit dans la barre d'un moteur de recherche. Lisez ! Avant la longue flamme rouge de Guillaume Sire, pour croiser le regard de Saravouth, pour qui subsistent tant de questions restées sans réponse. Bien à vous.
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