Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses.
On lui a toujours dit que les enfants n'étaient qu'un bonheur éphémère, une vision furtive, une impatience. Une éternelle métamorphose. Des visages ronds qui s'imprègnent de gravité sans qu'on s'en soit rendu compte.
Ils ont envie de faire bonne figure devant les nounous qui vont défiler. Ils rassemblent les livres et les magazines qui trainent sur le sol, sous leur lit et jusque dans la salle de bains. Paul demande à Mila de ranger ses jouets dans les grands bacs en plastique. La petite fille refuse en pleurnichant, et c'est lui qui finit par les empiler contre le mur. Ils plient les vêtements des petits, changent les draps des lits. Ils nettoient, jettent, cherchent désespérément à aérer cet appartement où ils étouffent. Ils voudraient qu'elles voient qu'ils sont des gens bien, des gens sérieux et ordonnés qui tentent d'offrir à leurs enfants ce qu'il y a de meilleur. Qu'elles comprennent qu'ils sont les patrons.
Une haine morte en elle. Une haine qui vient contrarier ses élans serviles et son optimisme enfantin. Une haine qui brouille tout.
Elle a le besoin éperdu de se nourrir de leur peau, de poser des baisers sur leurs petites mains, d'entendre leurs voix aiguës l'appeler "maman". Elle se sent sentimentale tout à coup. C'est ça qu'être mère a provoqué. Ça la rend un peu bête parfois. Elle voit de l'exceptionnel dans ce qui est banal. Elle s'émeut pour un rien.
"Tu vois, tout se retourne et tout s'inverse. Son enfance et ma vieillesse. Ma jeunesse et sa vie d'homme. Le destin est vicieux comme un reptile, il s'arrange toujours pour nous pousser du mauvais côté de la rampe. "
Plus que tout, elle craignait les inconnus. Ceux qui demandaient innocemment ce qu'elle faisait comme métier et qui se détouraient à l'évocation d'une vie au foyer.
Son visage est une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses.
- Oui. Peut-être. Mais vraiment, je ne comprends pas.
- Vous ne devriez pas chercher à tout comprendre. Les enfants, c'est comme les adultes. Il n'y a rien à comprendre.
Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d'une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses.