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Critique de HordeDuContrevent


C'est ce genre de livre, étonnant, surprenant, qui a le don d'éveiller ma sensibilité poétique et de me faire aimer la vie plus intensément. le don de me faire écrire des vers tant l'émotion affleure, en vagues ondulantes, à fleur de peau. Oui, j'éprouve un énorme coup de coeur pour ce magnifique livre « Je chante et la montagne danse » d'Irène Solà. C'est exactement la poésie que j'aime, libre et contagieuse, à la fois originale et simple. Sandrine (@Hundreddreams) avait vu juste lorsqu'elle me disait que j'allais très certainement aimer cet écrit comme elle-même l'avait aimé, elle avait raison, et je l'en remercie infiniment.

C'est un roman mu par une poésie animiste. Une poésie qui honore aussi bien la vie que la mort, une poésie qui met à l'honneur la puissance de la nature, faune, flore, minéraux, nuages, tous les éléments ont la parole, expriment leur sensibilité et cela est tellement frais, tellement réjouissant, tellement rare. Vous entendrez la voix des éclairs, celle d'un chevreuil, celle des champignons, celle d'un chien, celle des montagnes. Voyez l'incipit qui immédiatement donne la parole aux éclairs et quelle parole, quelle puissance, quel début de roman…

« Nous sommes arrivés avec nos panses gonflés. Douloureuses. Nos ventres noirs, chargés d'eau sombre et froide et d'éclairs et de coups de tonnerre. Nous venions de la mer et d'autres montagnes, et allez savoir de quels autres endroits, et allez savoir ce que nous avions vu. Nous passions en raclant la pierre des sommets, comme du sel, pour que rien n'y pousse, pas même les mauvaises herbes. Nous choisissions la couleur des crêtes et des champs, et le scintillement des cours d'eau et des yeux qui regardent en l'air. Quand elles nous ont aperçus, les bêtes sauvages se sont tapies dans leurs tanières et ont tendu le cou et levé le museau, pour sentir l'odeur de terre mouillée qui s'approchait. Nous les avons tous enveloppés, comme une couverture. Les chênes, les buis, les bouleaux et les sapins. Chhhht. Et tous, ils se sont tus, parce que nous étions un toit sévère qui décidait de la tranquillité et de bonheur de garder l'esprit au sec ».

Ce côté animiste m'a beaucoup touchée, comme si nous même, lecteurs, ne sachions plus vraiment de quelle chair nous étions fait. Comme si cela faisait vibrer en nous une énergie venue de temps immémoriaux, comme si nous ne formions qu'un avec tous les éléments. Cette sensation d'union en un tout est une sensation, souvent ressentie en fulgurances éphémères que j'ai toujours eu du mal à exprimer et que Irène Solà magnifie…

Empilant des pierres
Je découvre le silence
Des temps primitifs
Le coeur battant à tout rompre
Mes seins comme des oiseaux

Une poésie animiste donc mais aussi régionaliste. Irène Solà chante une montagne, celle des Pyrénées, une région celle du pays basque. Traditions, mythes et légendes, mots basques nous sont offerts, expliqués. Comme ces figures mythologiques des Pyrénées, les dones d'aigua, femmes d'eau, ou les encantades, des guérisseuses, des sorcières, dont on entend la voix et même le rire, présence discrète tout au long du livre.
Une poésie pastorale qui donne envie de déambuler sur ces montagnes tant la nature y est belle.

Une poésie enfin d'une sensualité renversante, voire d'un érotisme électrisant. L'auteure parle du désir féminin, de l'orgasme, des odeurs. Les reniflances du désir, cette vie sous la peau, où je veux me perdre, toutes narines ouvertes, dans l'entrelacs fibreux qui embaument le coeur.

« Mon corps, c'est un bon corps. Un corps qui apprend rapidement. Un corps qui s'habitue tout de suite et qui sait trouver son chemin. Et il savait tirer profit des élans brusques, fermer les yeux, se concentrer et attraper le plaisir comme ça, comme il venait, petit et maigre, comme un filet d'eau qui s'écoule par un trou, et le battre et le battre encore pour le faire grandir, et en faire un ruisseau. Et comme je m'appliquais à garder le plaisir comme un silence. A serrer les dents bien fort quand la vesse-de-loup éclatait à l'intérieur de moi. A le faire grandir et éclater avant que Domènec en finisse. Et si je l'aimais déjà avant, après le plaisir, entre les draps, une fois qu'il s'était endormi, moi, toute seule avec cette chaleur entre les jambes, avec la tête qui me tournait, avec cette respiration si tranquille, si chaude à côté de moi, je l'aimais encore plus. Je m'accrochais à lui comme à un arbre, comme un bébé s'accroche au sein de sa mère ».

Ce désir primaire, puissant, assumé, qui arrive à contaminer chaque élément sur lequel porte notre regard.

Jupe éclaboussée
par des gouttes de rosée
au bord de la rive
les fleurs sauvages choquées
dodelinent de la tête

Avec tout ça, je ne vous ai pas parlé de l'histoire du livre. L'histoire n'est qu'un prétexte, seul a compté pour moi ce que je vous ai dit précédemment. Très brièvement, c'est la touchante histoire d'une poignée de gens d'un village du pays basque sur quelques décennies, des gens frappés par le destin, par le bonheur et le malheur, par le désir. Qu'importe. Juste remercier sincèrement Irène Solà pour ce livre lu d'une traite, hypnotisée. Un livre magique.

Je bois la verdeur
de tes beaux yeux pleins d'ivresse
livre aux rives rousses -
ils enivrent mes iris
pour y broder des fougères

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