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Critique de colimasson


Pour apprécier Ajax, il est certainement nécessaire d'avoir une bonne connaissance du monde de l'Antiquité grecque. Il faut aussi accepter de se projeter deux millénaires et quelques siècles en arrière pour saluer la maturité précoce d'un théâtre qui n'a rien à envier à la plupart des pièces d'aujourd'hui et pour reconnaître l'importance des valeurs et des croyances de cette société. Pour ma part, je me suis aventurée à la rencontre de cet Ajax comme je l'aurais fait pour n'importe quel autre livre : sans chercher particulièrement à me glisser dans la peau d'un contemporain de l'oeuvre pour en apprécier plus de subtilités que je n'aurais naturellement pu en dénombrer.


Ajax est un personnage furieux. En proie à la colère après que son ami défunt, Achille, a confié ses armes à Ulysse alors qu'il pensait pouvoir les recevoir de bon droit, il décide de massacrer Ulysse et ses compagnons. Berné par la déesse Athéna, il s'illusionne et massacre en réalité des troupeaux de bêtes. Lorsqu'il prend conscience de son erreur, la honte l'accable. Pour épargner à sa famille et à sa lignée l'humiliation due à ses actes, il décide de se suicider. Cris, pleurs et tragédie de sa compagne Tecmesse qui tente de l'en dissuader. Rien n'y fait. Ajax s'échappe en douce et se retire au loin pour se donner la mort. Cette mort sera d'autant plus inutile que Teucros, le frère d'Ajax, accoure bientôt pour lui faire part que les dieux se sont exprimés à travers l'oracle et lui auraient pardonné aisément sa fureur s'il était resté cloîtré chez lui le temps de la pénitence. Mais trop tard, le mal est fait… Teucros veut honorer son frère dignement et lui accorder une sépulture, ce que le roi Agamemnon refuse. Surgit à ce moment-là Ulysse –le grand, le fort, le majestueux ! Eliminant d'un revers de main toutes les querelles qui nous ont rasées jusqu'alors, il ordonne qu'on donne une sépulture au vilain petit Ajax. Et tout le monde de rester béat d'admiration devant ce personnage sans rancune, que la colère d'Ajax aurait pourtant dû tuer.


Moralité de l'histoire ? Avant l'avènement de Jésus-Christ, Sophocle préfigure l'adage : « Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi la gauche » -sachant que la gifle sur la joue droite a été évitée de peu, et qu'Ulysse ne risque rien à tendre sa joue gauche puisque Ajax est mort. Ceci ayant été compris, la pièce d'Ajax n'a rien de superbe. Pleine d'emphase, elle fait trembler chacun de ses personnages devant ces grandes figures éthérées que sont les Vertus. Courage, humilité, modération, amitié et amour… on retourne avec Sophocle aux temps où l'individu n'était encore qu'une partie d'un tout. C'est pourquoi la mort, même si elle reste tragique aux yeux des survivants, reste un moyen d'expression naturel parmi tant d'autres.


Pour l'immersion dans la civilisation grecque : bravo Ajax ! on sera certes dépaysé. Pour autant, difficile de dire qu'on se passionne pour ces aventures qui mêlent guerre, dieux et combats. Bien que les ressorts de cette tragédie se déroulent à un niveau symbolique qui rend possible leur transposition à de nombreux autres égards, la leçon d'humilité qui en découle –plus violente que le Sermon sur la Montagne- est si grandiloquente et finalement si contradictoire avec le fond de la morale qu'elle ruine la crédibilité des personnages. Mais peut-être est-il si difficile de comprendre toute cette agitation parce que les personnages, mus par leur envie d'égaler les dieux qui les entourent, cherchent sans cesse à contredire Athéna lorsqu'elle demandait, sur le ton de la provocation : « de quoi as-tu peur ? Il n'a jamais été qu'un homme » ? Qu'à cela ne tienne, Athéna. Les hommes jouent de leurs vertus pour se faire une place dans les cieux et dans la mémoire de leurs semblables… Difficilement compréhensible aujourd'hui, Ajax laisse dubitatif.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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